Apollonius de Tyane
les principales dates
3-4 avant jc
Naissance
- Naissance vers 3-4 avant J.-C. à Tyane en Cappadoce (Asie Mineure)
.
16-20 ans
Apprentissage
- Vers 16-20 ans, il rejoint l’école pythagoricienne à Égée en Cilicie
40 ans
Le grand voyage
- Vers 40 ans, il entreprend de longs voyages à travers l’empire romain et au-delà
66-68 après J.-C.
Rome
- 66-68 après J.-C. : séjour à Rome sous le règne de Néron
69-96 après J.-C.
Le périple
- 69-96 après J.-C. : voyages et prédications à Alexandrie, Éphèse, Athènes, Sparte et autres cités
Vers 100 après J.-C
Mort
- Vers 100 après J.-C. : mort à Éphèse à un âge avancé
PROFIL DU PHILOSOPHE
A propos d’Apollonius de Tyane
Naissance Un ou deux ans avant le début de l’ère chrétienne, à Tyane.
Parents
Commerçants aisés qui lui donnent une solide éducation, Euthydème est son premier Maître.
Vocation
Révélation ressentie comme un choc, grâce à son second Maître, Euxène. Il lui inculque la doctrine de Pythagore et, c’est à la suite de son enseignement, que le jeune Apollonius décide de vivre en pythagoricien.
Ses textes
Différents commentaires nous font connaître d’Apollonius, les textes suivants :
- Apologie
- Traité sur l’astrologie
- Livre sur les sacrifices
- Hymne à la mémoire
- Doctrine de Pythagore
- Testament
- 95 lettres
Sa mort
Survient à l’âge de 98 ou 99 ans. Il disparaît sans laisser de traces, sans témoins, ce qui ajoute encore au surnaturel de sa vie.
Biographie
Cent ans après sa mort, Philostrate rédige le récit de sa vie à la demande de Julie, l’Impératrice philosophe. A notre connaissance, c’est le seul document complet que l’on puisse trouver sur Apollonius de Tyane.
APOLLONIUS, ADEPTE DE PYTHAGORE
« Je ne suis qu’un homme, mais tout homme peut, par la contemplation et la philosophie, s’élever jusqu’aux dieux. »
Placée en exergue, cette phrase résume et exprime la quintessence des Vers d’Or. Nul autre philosophe, qu’Apollonius, ne suivit d’aussi près la pensée pythagoricienne.
Apollonius illustre de manière vivante la doctrine du Sage de Samos. Vêtu de lin, ne consommant pas de viande, il applique pour lui-même toutes les règles de vie constituant l’Enseignement Philosophique.
Non content d’instaurer la réforme de la morale, de corriger les erreurs et les abus du clergé, Apollonius paye de sa personne en offrant à ses contemporains l’image même de la sagesse. Il veut se donner en exemple dont chacun puisse s’inspirer.
L’impression produite sur ses contemporains les marque profondément. De son vivant, il est vénéré à l’égal d’un Dieu, craint pour ses pouvoirs surnaturels et admiré pour ses qualités généreuses.
Il lutte pour maintenir la doctrine pythagoricienne dans le culte consacré aux dieux antiques. Sa parole est souvent opposée à celle du Christ et, il n’est pas exagéré de dire que deux religions s’affrontèrent à travers leur personnalité.
Les foules, toujours avides de démonstrations, jugèrent souvent la qualité de leur enseignement à la lumière de leurs prodiges respectifs. La liste de ses miracles est telle, que pendant plusieurs années il fut impossible de départager les mérites d’Apollonius et du Christ.
L’influence d’Apollonius fut durable. Quatre siècles après sa mort, les honneurs continuèrent à lui être rendus.
APOLLONIUS DE TYANE
Dossiers publics, Périodique de documentation genevoise
Né un ou deux ans avant le début de l’ère chrétienne, Apollonius de Tyane est l’un des grands tenants de la doctrine pythagoricienne. Sa parole est souvent opposée à celle du Christ et il n’est pas exagéré de dire que deux religions s’affrontèrent à travers leurs personnalités. Ne disait-il pas: « Je ne suis qu’un homme » et « tout homme par la contemplation et la philosophie peut s’élever jusqu’aux dieux ». Les foules, avides de démonstrations, jugèrent souvent la qualité de leurs enseignements à la lumière de leurs prodiges respectifs, et pendant plusieurs années, il fut impossible de départager les mérites du Christ de ceux d’Apollonius de Tyane, tant les miracles furent nombreux de part et d’autre. Or, Apollonius, venu à Genève, ville alors consacrée au culte celtique, inspira une dédicace gravée sur une dalle proche du temple solaire, à la place de la cathédrale actuelle. Il est donc passionnant de savoir qu’Apollonius de Tyane est sans doute le plus ancien philosophe et le premier ésotériste qui ait fréquenté notre ville.
29 mars 1977
APOLLONIUS DE TYANE, vie et œuvres
A l’occasion de l’anniversaire de la loge Apollonius de Tyane, je vais tenter de résumer ce que l’on connaît de ce personnage historique. Mon approche se fonde sur deux ouvrages; le premier est intitulé: Apollonius de Tyane ou le séjour d’un Dieu parmi les hommes. II a été écrit par Mario Meunier et a été publié à Paris aux Éditions Bernard Grasset en 1936, réédité ensuite par le procédé offset en 1978, aux Éditions d’Aujourd’hui. Je ne sais s’il est encore disponible en librairie.
Le second ouvrage s’intitule: Apollonius de Tyane, le philosophe réformateur du premier siècle de notre ère. 11 a été écrit en anglais par G.R.S. Mead, traduit en français et publié à Paris par les Publications Théosophiques de la Bibliothèque Théosophique en 1906. J’ignore s’il a été réédité depuis et je doute qu’on puisse encore le trouver en librairie.
Ces deux ouvrages sont empreints d’une partialité évidente en faveur du personnage d’Apollonius de Tyane, dont on ne sait, en réalité, que peu de choses. Leurs auteurs respectifs ne font (et comment pourrait-il en être autrement à près de deux mille ans de distance!) que compiler des ouvrages antérieurs, qu’ils accommodent à leur sauce pour présenter Apollonius de Tyane de la façon qu’il sied le mieux à leurs convictions.
Mario Meunier a « essayé de rendre accessible et de faire revivre dans I’esprit même de sa légende, la curieuse et attrayante figure d’un des derniers représentants de la sagesse antique… ». Son avant-propos de 14 pages résume consciencieusement la vie d’Apollonius, mais on ne peut affirmer que tout s’est déroulé de la manière dont il le rapporte, car il se fie à la biographie d’Apollonius de Tyane écrite par Philostrate plus d’un siècle après la mort du tyanéen.
G.R.S. Mead est plus prudent dans son approche, i1 tente de séparer la légende de la réalité et, en sous-titre, il nous précise le but de sa démarche: Étude critique des seuls documents qui existent sur la vie d’Apollonius de Tyane; Exposé des diverses opinions concernant ce philosophe; Aperçus sur les associations religieuses et sur les communautés du 1er siècle de notre ère; Influence possible de la pensée hindoue sur la pensée grecque. Nous entrevoyons déjà dans quelle direction l’auteur anglais, théosophe, souhaite nous orienter… Mead, comme Meunier, souhaite réhabiliter I’image d’Apollonius de Tyane, quelque peu ternie au cours de l’histoire par l’emprise croissante du Christianisme. Ces deux auteurs ont en commun la même vénération de Pythagore, vénération qu’ils attribuent également à Apollonius.
L’époque d’Apollonius de Tyane
Nous disposons de peu d’informations sur les conditions de la vie religieuse au premier siècle de notre ère. Non seulement le temps historique, bientôt deux millénaires nous séparent de cette époque, mais l’avènement du Christianisme d’une part et l’éclosion de la pensée rationnelle de l’autre, ont considérablement transformé le mode de pensée et de vie des êtres humains depuis lors. II existait à cette époque beaucoup de cultes divers, nécessitant souvent un parcours initiatique, mystères phrygiens, bachiques, mystères d’Isis, de Mithra, d’Éleusis. Ces derniers se trouvaient sous l’égide de l’État, et les respectables citoyens d’Athènes se devaient d’être initiés à ces mystères.
Dans son traité De la vie contemplative, Philon signale l’existence de nombreux groupes d’hommes abandonnant leurs biens pour se retirer du monde et se dévouer à la recherche de la sagesse et à la pratique de la vertu. La vie religieuse se confondait souvent avec la recherche de la vérité, généralement attribuée à la pratique de la vie philosophique. La confusion des « genres » entre philosophie et religion, mythe et réalité objective, apparaît jusque dans la biographie d’Apollonius écrite par Philostrate, qui mélange les faits historiques et la poésie sophiste… Notre rationalité nous a accoutumé depuis deux siècles à ne plus mélanger les faits et les commentaires, le récit mythique du fait historique…
Comment Apollonius de Tyane est parvenu jusqu’à nous
La biographie d’Apollonius de Tyane fut commandée à Philostrate par Julie Domna, mère de Caracalla, impératrice de Rome sous le règne de Septime Sévère, en l’an 216 après J.-C., soit plus de cent ans après la mort du sage. Philostrate est un homme de lettres qui vécut de 175 à 245 après J.-C. Il est l’auteur de la seule biographie d’Apollonius, qui fut écrite en grec(1). Cet ouvrage est fondé d’une part, sur des récits obtenus dans les villes ou Apollonius a vécu, et d’autre part, sur des notes de Damis, un disciple d’Apollonius qui l’accompagna au cours de plusieurs de ses voyages. Julie Domna aurait aussi remis à Philostrate des lettres d’Apollonius de Tyane que l’Empereur Hadrien possédait.
Le second document connu sur Apollonius de Tyane fut écrit vers l’an 305 de notre ère par Hiéroclès, philosophe grec, gouverneur de Palmyre. Dans son ouvrage intitulé : L’ami de la vérité, Hiéroclès oppose aux miracles du Christ les miracles qu’auraient accompli Apollonius de Tyane, selon la biographie de Philostrate. Eusèbe de Césarée répondit à Hiéroclès dans un traité intitulé : Contra Hieroclem, dans lequel il nie l’existence des miracles attribués à Apollonius de Tyane. « Si ceux-ci ont réellement existé, ils ne peuvent être que l’œuvre du démon », selon Eusèbe.
La controverse ouverte par Hiéroclès et Eusèbe fut reprise au XVIème siècle, lors des rééditions de la biographie de Philostrate, pour perdurer jusqu’au XIXème siècle. Pour les chrétiens, au cours de l’histoire, Apollonius est tantôt un magicien, tantôt un sage. Jean Chrysostome qualifie Apollonius de menteur et d’être malfaisant. Saint-Jérôme dit de lui qu’il trouve toujours matière à s’instruire et à s’améliorer. Au Vème siècle, Saint-Augustin pense qu’on ne peut le comparer à Jésus, mais qu’il est un homme vertueux.
Plus tard, au XIème siècle, le moine Xiphilin qualifie Apollonius de magicien et d’adroit escamoteur. Selon Nicetas, il existait encore à Byzance au XIIème siècle, certaines portes de bronze consacrées jadis par Apollonius, qui durent être fondues car elles étaient devenues, même pour les chrétiens, un objet de superstition. Signalons encore qu’à Rome, un temple fut élevé à la mémoire d’Apollonius, aux frais du trésor de l’Empire, sur la décision de Caracalla.
Quelques aperçus sur la vie d’Apollonius de Tyane
Apollonius est né à Tyane, au sud de la Cappadoce, de parents fortunés, au début de l’ère chrétienne. A l’âge de quatorze ans, il fut envoyé à Tarse pour étudier. Il alla ensuite à Égée, où il fut admis dans le temple d’Esculape, vers l’âge de vingt ans. II hérita alors des biens familiaux qu’il partagea avec son frère qui menait une vie dissolue. Il distribua une part de sa fortune à ses proches parents, car il estimait qu’il avait peu de besoins personnels et qu’il n’allait pas se marier.
Il mangeait seulement les produits de la terre : fruits et légumes, afin, disait-il, de se purger l’esprit. Il ne buvait pas de vin « qui trouble l’esprit ». Il fit vœu de silence pour cinq ans durant lesquels il voyagea et étudia. Puis, il y a un trou dans sa biographie d’une durée de quinze à vingt ans. On le signale ensuite, à Antioche où il consacre ses matinées aux « choses » divines et les après-midi aux enseignements de la vie éthique et pratique.
Grand voyageur, il alla jusqu’en Inde, dans la vallée du Gange, où il rencontra des bouddhistes. Selon les commentaires, i1 serait parti pour l’Inde à la recherche d’une communauté particulière et il revint chargé d’une mission. On signale sa présence à Babylone, Ninive, à Chypre, puis en Ione, en Asie Mineure, dans les villes de Smyrne, Pergame, Troie, et en Crète, avant d’être à Rome en 66, sous le règne de Néron. Ce dernier promulgua cette année-là, un édit proscrivant les philosophes et Apollonius partit alors pour l’Espagne, à Cadix. Il rencontra l’apôtre Paul à Rome, où ce dernier fut décapité. Apollonius quitta ensuite l’Espagne pour la Sicile, et de là il repartit en Grèce, avant de s’embarquer pour I’Égypte et de remonter le Nil jusqu’en Éthiopie. II revint à Rome, attira la suspicion de l’Empereur Domitien qui le fit emprisonner, puis jugé et acquitté en l’an 81. On signale encore que Vespasien, Titus et Néron furent des admirateurs d’Apollonius qu’ils connurent avant leur arrivée au pouvoir à Rome. Apollonius repartit pour la Grèce après l’issue heureuse de son procès, renvoya son disciple Damis à Rome, et il mourut à l’âge de quatre-vingt ans environ.
Quelques aspects sur les oeuvres d’Apollonius de Tyane.
Apollonius passe pour un prophète, un thaumaturge. Il semble être un disciple de Pythagore pour qui le vrai philosophe est celui qui connaît les secrets de la nature, non de la lecture et des discours d’autrui. Le sentier de la philosophie est la vie du philosophe.
Apollonius passa beaucoup de temps à rétablir les rites dans les temples de diverses divinités. Il condamnait les combats de gladiateurs, mais approuvait les jeux olympiques. Il aurait fréquenté, en Éthiopie notamment, ceux que l’on a appelé les « gymnosophistes », les philosophes nus, c’est-à-dire les membres de communauté composés de ceux qui avaient abandonné tous biens matériels et pratiquaient des mortifications.
Comme je l’ai signalé précédemment, on lui attribue des miracles. Les cas relatés se rapportent surtout à la guérison de malades. II lisait dans les pensées et avait un don de prophétie. II faut cependant rappeler que la notion théologique du miracle est postérieure à la vie d’Apollonius. II semblait écouter la voix intérieure de son daïmon comme Platon.
On signale également à son propos un don de prescience. II refusa une fois de s’embarquer sur un bateau qui fit naufrage. Il eut une vision à distance d’un temple incendié à Rome. Alors qu’il était à Alexandrie, on raconte qu’il eut la vision de l’assassinat de l’Empereur Domitien à Rome. Il interprétait les songes. II eut de nombreux disciples imitant son mode de vie, mais n’a jamais fondé d’École. Il était végétarien, menant une vie ascétique. Parmi ses disciples, on peut citer Musonius et Démétrius à Rome.
Des paroles et sermons attribués à Apollonius, on peut extraire les recommandations suivantes :
« De ne rien posséder et cependant posséder toutes choses. »
« Accordez-moi, O dieux, de posséder peu et de ne désirer rien. »
« Je prie pour que la justice règne, et les lois soient respectées; pour que les sages soient pauvres et les autres riches par des moyens honnêtes. »
Sur la notion d’entraide entre les hommes, Apollonius un jour montra en exemple un moineau gazouillant, entraînant tous les autres à sa suite. II était venu annoncer aux autres moineaux la présence de grains de blé renversés sur une route, plus loin.
Parmi les conseils qu’il donna à Vespasien sur la manière d’être un bon roi, on peut relever celui-ci : « Ne comptez pour rien l’argent amassé, en quoi vaut-il plus que le sable amoncelé par le hasard ? Ne comptez pour rien non plus l’argent prélevé par les lourds impôts qui écrasent le peuple : l’or qui vient des larmes est vil et maudit. Mieux qu’aucun roi vous emploierez vos richesses, si vous secourez ceux qui sont dans le besoin, et si vous laissez les riches jouir en paix de leurs biens. »
Apollonius glorifiait la sagesse : « Le sage doit être capable de mourir pour ses idées et la vérité doit lui être plus chère que la vie ». Il répondit un jour qu’on lui demanda ce qu’il pensait du fameux dicton : « Connais-toi toi même ! » – « Je crois que l’homme sage qui se connaît lui-même, et qui vit en constante communion avec son esprit véritable, qui combat avec cet esprit à sa droite, ne s’abaissera jamais aux craintes qui effraient le commun des mortels; et qu’il n’osera plus commettre ce que la plupart des hommes commettent sans honte aucune. »
Apollonius a écrit de courtes lettres d’après le mode du scytale lacédémonien(2) dont j’extrais les suivantes :
« Il n’est pas possible à l’homme de ne pas commettre d’erreurs, seul un caractère noble reconnaît en avoir commis. »(3)
« Pythagore dit que l’art le plus divin est celui de guérir. Si l’art de guérir est si divin, il doit s’occuper de l’âme autant que du corps, car nul être n’est sain, lorsque ce qu’il y a de supérieur en lui est malade. »(4)
« Héraclite fut un sage, mais il ne conseilla jamais au peuple d’Éphèse d’effacer la boue par de la boue ! »(5)
« Si quelqu’un se dit mon disciple, qu’il ne fréquente pas les lieux publics, qu’il ne tue aucun être vivant; qu’il ne mange pas de viande, qu’il soit délivré de l’envie, de la malignité, de la haine, de la calomnie, du ressentiment, et qu’il ait son nom inscrit parmi les noms de ceux qui ont obtenu la libération. »(6)
Cette dernière lettre résume la pratique de la sagesse conseillée par Apollonius. On est plus proche du sage, au sens traditionnel, à la recherche d’une vérité intégrant l’ensemble du mode de vie de l’être, que du philosophe grec orateur, même si les grecs anciens, à l’exception des sophistes peut-être, tentaient de vivre selon les préceptes qu’ils enseignaient.
Pour Apollonius de Tyane, je ne suis pas sûr qu’il faille lui attribuer le qualificatif de philosophe, comme l’a fait G.R.S. Mead dans son ouvrage, car Apollonius n’a pas écrit une oeuvre philosophique à l’exemple de Platon ou d’Aristote. Je crains que le sous-titre de Mario Meunier : Le séjour d’un Dieu parmi les hommes, emprunté à la biographie d’Apollonius par Philostrate ne convienne guère mieux au personnage. Eugène de Faye, dans : Origène, sa vie, son oeuvre, sa pensée, décrit ainsi l’Apollonius de Philostrate : « Apollonius représente le philosophe parfait tel que le rêvaient la plupart des contemporains d’Origène. Il est tour à tour directeur de conscience comme Sénèque, éducateur comme Épictète, prédicateur et orateur populaire à la manière de Dion de Pruse, ascète et mystique comme l’a été selon toute vraisemblance, l’Apollonius véritable »(7). De mon analyse, il semble que ces deux qualificatifs d’ascète et de mystique peuvent être retenus au sujet d’Apollonius de Tyane, auxquels on peut ajouter celui de sage.
P.-P. R.
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1 Flavius Philostrate : De Vita Apollonii Tyanei. Elle fut rééditée en 1501 à Venise, suivie du texte d’Eusèbe : « l’antidote accompagne le poison », puis traduite en français par Blaise de Vignières et publiée à Paris en 1596, 1599 et 1611.
2 Le scytale était une baguette ou bâton dont on se servait pour écrire les lettres chiffrées. « Autour de ce bâton on enroulait en spirale une bande de parchemin sur laquelle on écrivait le message dans le sens de la longueur. Lorsque la bande était déroulée, le message était inintelligible. Celui qui recevait le message, pour le lire, enroulait la bande sur un bâton exactement de la même grosseur que celui dont on s’était servi pour écrire. » (Lexique de Liddel et Scott) De là vient que le nom de scytale fut donné aux messages spartiates, d’un laconisme proverbial.
3 Lettre adressée aux Éphores (magistrats de Sparte).
4 Lettre adressée à Criton.
5 Lettre adressée aux prêtres de Delphes.
6 Lettre adressée à Criton.
APOLLONIUS RENCONTRA LES HOMMES QUI SAVAIENT TOUT
Au premier siècle de notre ère, à la frontière de Babylone, un garde questionna un voyageur grec de belle apparence
– « Quels présents apportes-tu à notre souverain? demanda-t-il.
– Toutes les vertus, répliqua le Grec.
– Penses-tu que notre roi ne les a pas? s’enquit l’officier.
– Il peut les avoir, mais il ne sait pas s’en servir », répondit hardiment le voyageur qui s’appelait Apollonius de Tyane.
Malgré l’insolence de ses propos, le voyageur fut autorisé à passer la frontière babylonienne, le garde estimant que le roi pourrait trouver quelque intérêt à rencontrer l’excentrique visiteur.
Apollonius était né en Cappadoce vers l’an 4 av. J.-C. Ses maîtres cessèrent de l’instruire lorsqu’il eut quatorze ans, à cause de son intelligence innée. Le jeune garçon, à seize ans, prononça les vœux qui le liaient à l’école de Pythagore et s’attacha au temple d’Aegae. Sa sagesse et ses réussites médicales étendirent si vite sa réputation que l’on disait en Cappadoce aux gens pressés: « Pourquoi tant de hâte? Courez-vous voir le jeune Apollonius? »
Un prêtre d’Apollon lui apporta un jour une carte gravée sur cuivre, lui disant qu’elle indiquait le chemin de la Cité des Dieux. Apollonius fut bientôt en route vers l’est. A Mespila (Ninive), un certain Damis lui offrit ses services comme guide. La biographie du philosophe grec fut écrite, plus tard, par Philostrate à la demande de l’impératrice byzantine Domna.
Après de dures étapes qui les menèrent en Inde, les deux voyageurs, panant des bords du Gange, tournèrent au nord en direction de l’Himalaya. Il est à présumer qu’ils allèrent au Tibet, car le voyage prit dix-huit jours. Comme le sage grec et son dévoué compagnon approchaient de l’Olympe asiatique, d’étranges phénomènes commencèrent à se produire. Le chemin qu’ils empruntaient s’effaçait derrière eux. Le paysage était mouvant et il semblait aux voyageurs qu’ils avançaient dans un site enchanté. Aux limites de cette région merveilleuse, un jeune garçon vint à leur rencontre et s’adressa, en grec, au philosophe, comme si la venue de celui-ci était attendue. Apollonius de Tyane fut alors présenté au maître du pays que Philostrate appelle Iarchas.
La fabuleuse contrée regorgeait de merveilles scientifiques. Il y avait des puits d’où sortaient des colonnes de lumière qui s’élevaient dans l’air comme celles des projecteurs. Des pierres phosphorescentes illuminaient la ville d’une clarté comparable à celle du jour.
Apollonius et Damis assistèrent à des démonstrations de lévitation où les hommes, sans poids, flottaient en Pair. Quatre automates, tripodes, circulaient dans la salle à manger, distribuant nourritures et boissons tandis que les visiteurs étaient assis à la table de leur hôte. Le biographe d’Apollonius emprunte à Homère la description de ces robots qui « mus par l’esprit, roulaient de place en place autour du lieu béni, se déplaçant d’eux-mêmes, obéissant au moindre signe des dieux. »
Les réussites techniques et la supériorité intellectuelle de cette communauté impressionnèrent si fort Apollonius qu’il se contenta d’un signe muet d’assentiment quand le roi Iarchas lui fit remarquer ce fait évident: « Tu es venu vers les hommes qui savent tout. »
Selon le philosophe de Tyane, ces savants « vivaient à la fois sur la terre et en dehors d’elle. » La remarque a-t-elle un sens littéral ou allégorique? Si nous l’acceptons à la lettre il faudrait comprendre que ces peuples étaient en communication avec d’autres mondes d’autant plus aisément qu’ils avaient maîtrisé la force de gravité. Cette interprétation permettrait de comprendre une autre affirmation de Iarchas: «que l’univers est chose vivante. »
Apollonius reçut des adeptes d’Asie une double mission. Il fut chargé, tout d’abord, d’enterrer certains talismans ou aimants dans des lieux qui, à une époque future, prendraient une signification historique. Il devait, de surcroît, rentrer en Occident pour secouer la tyrannie romaine.
Le sage grec parvenu à Rome sous le règne de Néron, au temps ou les écoles philosophiques étaient en butte aux persécutions, fut promptement traduit devant un tribunal. Lorsque le procureur déroula le manuscrit où étaient consignées les charges contre Apollonius, le juge, stupéfait, constata que le document était vierge! Aucune preuve écrite ne pouvait être retenue contre lui: l’accusation tombait d’elle-même. Apollonius fut relâché, mais, de ce jour, les autorités romaines furent envahies, à son égard, d’une crainte superstitieuse.
Sous l’empereur Vespasien les choses aillèrent mieux et le philosophe fut choisi comme conseiller impérial. Son influence augmenta encore avec Titus qui lui dit: « En vérité, si j’ai pris Jérusalem, toi, Apollonius, tu m’as conquis! » Sous le règne de Domitien, le sage fut accusé d’activités anti-romaines. Au procès, Apollonius regarda dédaigneusement l’empereur qu’il avait connu tout enfant. Les patriciens, anxieux, se souvenaient des faits étranges survenus au tribunal de Néron. Domitien et les juges, pour éviter un échec public, tentèrent de se blanchir en retirant quelques-unes des charges imputées à l’accusé à condition qu’il fût cependant condamné.
Face à l’empereur romain, Apollonius, se drapant dans son manteau, l’interpella: « Tu peux détenir mon corps, mais non mon âme, dit-il, et j’ajoute que mon corps même tu ne le tiens pas! » Sur ces mots, il disparut dans un éclair que purent voir des centaines de témoins rassemblés au tribunal.
L’histoire ne mentionne pas la date à laquelle mourut le philosophe. La présence d’Apollonius, alors centenaire, est attestée à Éphèse, puis les chroniqueurs perdent la trace de ce personnage hors série.
Le séjour du sage de Tyane en Asie où il s’instruisit aux pieds de ceux « qui savaient tout» est d’un grand intérêt historique. Apparemment, nos robots ne sont pas nouveaux si des automates servirent Apollonius et Damis dans le palais de Iarchas. L’antigravitation était utilisée par ceux qui pouvaient à leur gré s’élever et planer dans les airs. D’après le récit, le paysage était mouvant quand les voyageurs arrivèrent dans les parages de la secrète demeure tibétaine. Les vagues lumineuses ondulatoires relèvent plus de la science-fiction que de la science proprement dite, mais le phénomène pourrait expliquer les scènes qui se passèrent aux abords du Tibet et la disparition du philosophe grec au tribunal de Domitien. La brillante clarté qui provenait des puits et des pierres était peut-être produite par l’électricité ou quelque autre source d’énergie. Personne n’a le droit de rejeter sans examen le témoignage de Philostrate qui recourut, à Byzance, à de nombreux documents pour rédiger la biographie d’Apollonius. Pas plus que ne sont contestables les écrits des auteurs de l’Antiquité comme Hérodote, Virgile, Plutarque et tant d’autres. Apollonius de Tyane fut si vénéré que Septime Sévère, maître de l’empire romain de 193 à 211 de notre ère, conservait une statue du philosophe grec dans une chasse qui abritait également Jésus et Orphée.
« Nous ne sommes pas les Premiers » Andrew THOMAS – Les chemins de l’impossible ALBIN MICHEL – 1972
APOLLONIUS A GENEVE
Le chemin nous est inconnu qu’Apollonius parcourt pour arriver à Genève après son séjour en Espagne.
Sa présence, en cette ville, figure dans la relation de ses voyages et, un commentaire indique une promenade qu’il effectue au bord du lac.
Distrait, ou entièrement absorbé par sa méditation, il ne voit pas la masse d’eau qui s’étend à ses pieds et s’enquiert, par la suite, de l’endroit où se trouve le lac.
Genève, ville consacrée au culte celtique, honorait alors le Soleil dans un temple à lui dédié, situé à l’emplacement où s’élève, aujourd’hui, la cathédrale.
A cet endroit, dit-on, Apollonius inspira une dédicace gravée sur une dalle proche du temple solaire.
Il est passionnant d’imaginer que sa découverte serait un jour possible et qu’elle livrerait son secret à d’heureux chercheurs. La marque perdue relève bien du symbolisme maçonnique.
LE NYCTHEMERON D’APOLLONIUS DE TYANE
Le Nycthéméron, d’Apollonius de Tyane, dont titre peut être traduit ainsi : » Le Jour de Dieu qui luit dans les ténèbres», le Dieu qui gît prisonnier dans notre microcosme. Ce « Jour » est divisé en douze « Heures», douze échelons, douze étapes. Chaque « heure » contient des indications concrètes qui font bien comprendre la manière dont le Jour de Dieu peut être réalisé par chaque candidat. En bref, c’est une méthode, un chemin de parfaite délivrance.
LES DOUZE HEURES DU NYCTHEMERON
Heure I
Dans l’unité, les démons chantent les louanges de Dieu: ils perdent leur malice et leur colère.
Heure II
Par le binaire, les poissons du Zodiaque chantent les louanges de Dieu, les serpents de feu s’enlacent autour du caducée et la foudre devient harmonieuse.
Heure III
Les serpents du caducée d’Hermès s’entrelacent trois fois. Cerbère ouvre sa triple gueule et le feu chante les louanges de Dieu par les trois langues de la foudre.
Heure IV
A la quatrième heure, l’âme retourne visiter les tombeaux: c’est le moment où s’allument les lampes magiques aux quatre coins des cercles; c’est l’heure des enchantements et des prestiges.
Heure V
La voix des grandes eaux chante le Dieu des sphères célestes.
Heure VI
L’esprit se tient immobile; il voit les monstres infernaux marcher contre lui et il est sans crainte.
Heure VII
Un feu qui donne la vie à tous les êtres animés est dirigé par la volonté des hommes purs. L’initié étend la main et les souffrances s’apaisent.
Heure VIII
Les étoiles se parlent, l’âme des soleils correspond avec le soupir des fleurs; des chaînes d’harmonie font correspondre entre eux tous les êtres de la nature.
Heure IX
Le nombre qui ne doit pas être révélé.
Heure X
C’est la clef du cycle astronomique et du mouvement circulaire de la vie des hommes.
Heure XI
Les ailes des génies s’agitent avec un bruissement mystérieux; ils volent d’une sphère à l’autre et portent de monde en monde les messages de Dieu.
Heure XII
Référence : Ici s’accomplissent par le feu les oeuvres de l’éternelle lumière.
LE NYCTHEMERON d’APOLLONIUS DE TYANE EXPLIQUE PAR J. VAN RIJCKENBORGH
1982 – HAARLEM – ROZEKRUIS PERS – PAYS-BAS Traduit du néerlandais: « Het Nuctemeron van Apollonius van Tyana »
Première édition néerlandaise 1968
COMMENTAIRE MAÇONNIQUE A PROPOS D’APOLLONIUS
Les lettres d’Apollonius reflètent le souci de perfection qu’il poursuit durant son existence entière. Leur étude permet d’y retrouver l’illustration de notre devise « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ ».
Notre code maçonnique actuel apparaît en filigrane dans les enseignements et les actes d’Apollonius. Pythagore est présent dans tous nos temples. La chaîne d’union, le silence de nos apprentis, le respect d’autrui, la tolérance, pour ne citer que quelques-unes de nos plus nobles aspirations, s’inspirant directement de l’esprit du Philosophe.
La Tétrade lui est familière et, à l’enseignement qu’il reçoit des Brahmanes, il ajoute celui de l’Ether.
Il enseigne qu’il est essentiel d’être fidèle à son idéal et, il recommande souvent à ses semblables de ne point juger autrui…
Son mode de vie est celui d’un Initié, d’un être supérieur, qui sait, cependant, vivre dans le monde et au milieu des hommes. Il démontre ainsi la faculté d’appliquer la théorie philosophique à la pratique.
Apollonius est un modèle, mais de dimensions humaines, et rien de ce qu’il enseigna ne peut nous paraître étranger. De ce fait, tout Maçon doit être ce que fut Apollonius, ou, à défaut, tout Maçon doit essayer de devenir ce que fut Apollonius.
Désormais, Apollonius de Tyane nous est plus familier. Ce qui précède nous permet de l’apprécier et de comprendre la valeur de son exemple.
Souhaitons, qu’un jour, de nouvelles recherches soient entreprises afin de mieux connaître encore le Philosophe. Ce travail permettrait alors de poursuivre plus avant l’étude des commentaires et d’apporter certains éclaircissements qui intéressent les Frères de notre Atelier.
RÉFÉRENCES ET LISTES DES SOURCES CONNUES
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BIOGRAPHIE D’APOLLONIUS SELON PHILOSTRATE
Ce qui retient surtout notre attention dans la vie d’Apollonius, ce sont ses doctrines, l’évolution religieuse à laquelle il est mêlé et l’esprit de son temps. De ce dernier point de vue, les miracles dont il est si libéralement gratifié dans Philostrate, ne doivent pas être négligés. Les païens n’y croyaient pas seuls, tout nous l’atteste, mais les chrétiens aussi, quand il leur fut opposé (ce qui n’eut lieu qu’au temps de Dioclétien, lorsque Hiérocles écrivit contre eux son livre).
Ce livre est intitulé: l’Ami de la vérité, adressé aux chrétiens par Hiérocles, gouverneur de Bithynie. Jésus-Christ y est représenté comme un voleur de grands chemins qui infestait la Judée avec neuf cents brigands. Les miracles d’Apollonius de Tyane sont déclarés bien supérieurs à ceux que les chrétiens attribuent au fondateur de leur secte.
Les chrétiens ne refusent pas d’admettre qu’il en eût fait; ils se contentent d’attribuer ceux qu’ils ne nient pas à l’art de la magie ou à l’influence des mauvais esprits. Parmi les plus remarquables de ses miracles, nous citerons: La Fontaine du secret – le criminel découvert – le don de connaissance de toutes les langues – sa lutte contre une empuse – les onagres – ses dons de divination – de double vue – sa prédiction au sujet de Néron – sa victoire sur le démon de la peste – sa chasse aux démons – ses dons de magie.
Il rend la vie, miraculeusement, à une jeune fille décédée, sauve par sa clairvoyance un condamné à mort, devine l’emplacement d’un trésor fabuleux.
Il possède le don de disparaître et de réapparaître, ainsi que la faculté de bilocation. Entouré de ses disciples, il annonce la mort de Domitien, survenue très loin de là.
Enfin, après sa mort, son ombre apparaît à plusieurs de ses disciples.
Sa présence et la force de son enseignement en font, ce qu’il n’est pas exagéré de dénommer, la dernière idole du paganisme.
La tolérance et la modération d’Apollonius apparaissent à chaque instant dans sa vie et il les porte dans des choses diverses. Il laisse son Maître, Euxène vivre en véritable épicurien avec la fortune qu’il lui donne. Il n’impose pas à ses disciples le régime qu’il observe lui-même et, s’il cherche la perfection à sa manière, il laisse les autres la chercher par des voies différentes. Il ne pense pas non plus qu’il convienne à un roi de poursuivre la voie de la sagesse à l’instar d’un simple particulier; il fait la part des diverses conditions et évalue le devoir à la possibilité de le remplir et aux impératifs des convenances sociales.
Il considère la terre entière comme une seule Patrie et tous les hommes comme des frères. Il recherche la longue chaîne de la tradition qui relie les hommes à travers tous les temps.
Après avoir étudié la grammaire et la rhétorique avec Euthydème, il pénètre le système pythagoricien grâce à l’enseignement d’Euxène. La richesse de cette doctrine lui laisse entrevoir la Voie Royale. Afin de s’y mieux consacrer, il décide de se mettre à l’épreuve et de se donner cinq ans de réflexion.
Durant ces cinq années, il garde le silence le plus absolu, tout occupé à s’enrichir spirituellement. Cette période de sa vie va de l’an 17 à l’an 22.
Alors, enfin, Apollonius considère son éducation philosophique comme terminée. Sa vie continue, il est vrai, de n’être qu’un long voyage et toutes les parties du vaste empire romain sont tour à tour gratifiées de sa présence.
En 43, il se rend à Babylone et en 46 il se trouve aux Indes afin d’y apprendre les secrets des Initiés. En 47, il est de retour à Babylone et, en 61, sa présence est célébrée à Olympie, pendant la durée des jeux.
A Rome, sous le règne de Néron en 63, il visite ensuite l’Espagne en 66. Ses derniers longs voyages le conduisent en Égypte, puis en Éthiopie, à partir de 69.
Il est jeté en prison sous Domitien, en 92 à Rome. Ses dernières années, il les passe, dès 93 à parcourir la Grèce où il trouve la mort en 96.
Mais, s’il parcourt ainsi le monde, c’est désormais moins pour s’instruire que pour instruire les autres. Il a la conscience de posséder la sagesse dans toute sa plénitude et il se conduit en conséquence.
S’il visite le tombeau d’Achille, le héros sort de son sépulcre pour lui communiquer ses désirs et ses volontés. Se rend-il plus tard en Éthiopie pour connaître les Gymnosophistes qui se proclament les plus sages des hommes, il rabaisse d’abord leur orgueil et, l’un d’eux, le plus sincère, le plus ardent dans la recherche de la vérité, les abandonne pour devenir son élève. A Éleusis, l’hiérophante refuse de l’initier aux mystères.
« J’y serai initié, lui dit Apollonius, mais un autre que toi aura l’honneur de cette initiation. »
Les gardiens de l’antre de Trophonios lui en interdisent l’entrée. Il ne tient aucun compte de cette défense et, pendant la nuit, il force l’entrée du gouffre pour conférer avec le dieu. Celui-ci en éprouve une telle joie qu’il apparaît à ses prêtres et leur reproche vivement leur conduite à l’égard d’un tel homme. En même temps, il leur ordonne de se rendre à Aulis avant le septième jour, pour voir alors Apollonius sortir de terre. Apollonius reparaît, en effet, dans ce lieu, au grand étonnement et, sans doute, à la grande confusion de ceux qui lui avaient témoigné si peu de respect. Il rapporte un écrit du dieu attestant que la meilleure philosophie est celle de Pythagore.
Il accuse souvent les prêtres d’égarer les hommes et de desservir leur religion.
Apollonius est plus habile qu’eux dans l’exercice de leur art principal, la médecine. Il guérit davantage de malades et ne demande rien pour salaire, ayant fait vœu de pauvreté. Il jouit aussi d’une plus grande popularité et l’imagination se plaît à broder, autour de faits qui ont peut-être un fond de vérité, des détails propres à renforcer son prestige.
Ces récits merveilleux, que la crédulité publique accueille sans doute avidement, confèrent à Apollonius une influence que n’ont plus les oracles. Aussi, les prêtres de ceux-ci ne sont-ils pas tous bien disposés à son égard. S’il s’était intitulé prophète, ils lui auraient plus facilement pardonné. Mais il disait: « Je ne suis qu’un homme, » et « tout homme parla contemplation et par la philosophie peut s’élever jusqu’aux dieux. Le sang des victimes ne peut leur plaire; le plus bel hommage qu’on puisse leur rendre, c’est celui d’un cœur pur ». « Si la bonté est un des attributs de la divinité, les hommes qui sont bons ont quelque chose de divin. »
Pendant ce temps, l’incrédulité semble gagner du terrain parmi les nations attachées à la religion hellénique et parmi les Romains, dont le culte tend à se confondre avec cette religion, dans la période qui précède immédiatement l’ère chrétienne. Mais, l’incrédulité n’est pas pour les peuples un état durable. Une forte réaction suivit. Elle est signalée à la fois en Occident et en Orient, par un essor particulier du goût du merveilleux. En Orient, elle donne lieu, de plus, à un nouvel et long effort pour resserrer les liens de la morale et de la foi, en même temps, qu’on cherche à celle-ci des stimulants, en associant plus étroitement, les fables homériques avec les dogmes de théocratie auxquelles leur éloignement même assure un certain prestige.
C’est à cet effort que se rattache le nom d’Apollonius de Tyane. A Rome, où domine le principe d’une religion d’État, au contraire, ceux des Empereurs, les plus fidèles à la politique romaine, sont convaincus de rendre à la religion son influence et son autorité, en appliquant des mesures de police. Toute innovation qui intervient dans le culte et les objets auxquels il s’adresse, trouve d’ailleurs en eux des adversaires déclarés.
Suivant Dion Cassius, Mécène donne à Auguste le conseil suivant qui sert de leçon à ces princes: « Honore partout et toujours les dieux de la manière usitée dans l’Empire, et contrains les autres à les honorer de même. Punis du supplice les auteurs de religions étrangères, non seulement par respect pour les dieux, mais parce que ceux qui introduisent de nouvelles divinités engagent d’autres personnes à suivre des lois étrangères, d’où naissent les conjurations, les sociétés secrètes, qui sont très désavantageuses au gouvernement d’un seul. Ainsi tu ne souffriras personne qui méprise les dieux, personne qui s’adonne à la magie. »
Apollonius cherche à réformer le paganisme en préparant l’avènement d’une nouvelle religion basée sur l’intuition intérieure et la révélation individuelle. Il est un prêtre réformateur et, davantage encore, un moraliste. Par son enseignement, il tente d’élargir la sphère de la spéculation philosophique, mais la société, au milieu de laquelle il évolue, est en pleine décadence.
La personnalité d’Apollonius et son rayonnement sont tels, que les responsables du pouvoir s’en inquiètent. C’est ainsi que Néron, avant de se rendre en Grèce, promulgue un décret qui oblige les philosophes de quitter Rome. Apollonius se retire en Espagne. Durant le trajet, il annonce à ses compagnons la chute prochaine de Néron, et son biographe ajoute qu’arrivé à Cadix, il a plusieurs entrevues secrètes avec un gouverneur de Bétique, ami de la philosophie.
Mais, il ne se borne pas, suivant toute apparence, à de simples paroles; il conspire contre Domitien comme il avait conspiré contre Néron et, c’est pour élever Nerva à l’empire.
Dénoncé par Euphrate, il apprend que l’empereur veut s’emparer de sa personne et, par une hardiesse dont sa vie offre plus d’un exemple, il prend la résolution de se présenter devant lui. Démétrius le Cynique, qu’il visite alors à Dicéarchie (Pouzzoles), ne peut, malgré tous ses efforts, le détourner de ce projet téméraire.
Accompagné du seul Damis, auquel il fait quitter le costume de Pythagoricien, peu indiqué en ces temps de persécution, le philosophe gagne Rome.
A peine arrivé, il est saisi par ordre du préfet du prétoire Aelianus. Aelianus était un ami secret de la philosophie. Tout en exécutant les ordres de son ma1tre au sujet d’Apollonius, il cherche à le sauver. Il lui fait connaître les accusations formulées contre lui et les réponses qu’il y doit faire. Ce qui suit représente avec assez de fidélité les ruses familières du tyran.
Apollonius reçoit tout d’abord dans sa prison la visite d’un délateur chargé de pénétrer ses pensées secrètes. Mais à trompeur, trompeur et demi. C’est Apollonius qui pénètre l’espion. Il ne l’entretient que des merveilles de l’Inde, des arbres et des bêtes sauvages, d’une nature toute particulière, qu’il a vus dans ses longs voyages. Le délateur se retire, honteux et confus.
Apollonius est ensuite conduit devant l’empereur. Vains efforts de celui-ci pour tirer de lui quelque aveu contre Nerva. Domitien, irrité, lui fait arracher la barbe et les cheveux et ordonne qu’on le charge de chaînes. Jeté dans une prison plus dure, notre philosophe y conserve tout son calme et son sang-froid, les ruses de Domitien échouent toujours devant sa fermeté mêlée de finesse.
Il sait que les dieux ne le laisseront pas captif et, grâce au don des miracles qui lui est dévolu, il suffit qu’il veuille rompre ses fers pour que ses fers se rompent.
Avant de comparaître devant le tribunal de l’empereur, il congédie Damis, lui recommande d’aller trouver Démétrius et l’avertit qu’il viendra bientôt les rejoindre. Damis part sans beaucoup d’espoirs de revoir son Maître bien-aimé.
Enfin, vient le jour du jugement. L’agitation de l’empereur est telle, selon le rapport de ses familiers, qu’il en oublie de prendre aucune nourriture. Apollonius conserve toute sa tranquillité d’âme. Le débat judiciaire s’engage. L’empereur accuse Apollonius de porter un vêtement particulier, d’avoir sacrifié un enfant, lors d’une conjuration magique destinée à donner à l’Empire un nouveau chef (lui qui ne sacrifiait pas même d’animaux).
Il convient de noter la similitude de cette accusation avec celle dont les chrétiens furent si souvent l’objet, d’accepter qu’on lui donne le nom de dieu et, d’avoir prédit aux Éphésiens le fléau qui les menaçait. Apollonius répond victorieusement sur ces chefs d’accusation. Il est habile et éloquent pour se défendre du sacrifice de l’enfant. Ses adversaires prétendent qu’on gagne les dieux par de tels sacrifices. Quelle supposition impie! N’est-ce pas calomnier et insulter ceux dont la bonté est le plus bel apanage ?
L’auditoire témoigne d’une manière non équivoque de ses sympathies pour le philosophe. L’empereur intimidé (on sait qu’il était aussi timide que méchant), n’ose poursuivre son interrogatoire.
« Je t’absous lui dit-il, mais tu demeureras dans ta prison jusqu’à ce que j’aie eu avec toi un nouvel entretien particulier. »
Mais Apollonius:
« Je te remercie o prince, lui dit-il fièrement. Grâce aux scélérats qui t’entourent, des villes entières ont péri, les îles sont remplies d’exilés, les provinces de gémissements. La crainte règne parmi les armées, et la défiance dans le sénat. Donne-moi la liberté, si tu veux; si tu me la refuses, tâche de t’emparer de mon corps ? Quant à mon âme, elle est à l’abri de tes atteintes. Que dis-je ? Mon corps lui-même va t’échapper. Tu ne pourras pas me tuer; car les destins n’ont pas décrété ma mort. »
Sur ces paroles, ses chaînes se brisent et il disparaît, tandis que Domitien demeure interdit.
Ce qui paraît probable, c’est que la légende d’Apollonius de Tyane est née d’une oeuvre collective. Apollonius, lui-même, peut y avoir contribué. Non qu’il ait été, comme il en a été maintes fois accusé, un charlatan et un imposteur habile à faire des dupes. Bien des mots que lui prête Philostrate témoignent de sa bonne foi. Il déclare, par exemple, qu’il n’est qu’un homme et il décline, pour sa part, toute descendance divine. Mais l’amour propre rend crédule. Apollonius, en voyant la foule s’empresser autour de lui et le consulter comme un oracle, ne fut-il jamais tenté de se considérer comme un être supérieur ? On ne peut l’affirmer.
Parmi les fables de cette légende, nous avons cru déceler l’existence de deux tentatives simultanées destinées à restaurer la religion païenne.
L’une, a pour auteurs les empereurs, grands pontifes de Rome. Leurs moyens d’action résident dans le culte de la tradition, l’observation des anciens rites et cérémonies, ainsi que dans l’emploi de la persécution, comme contre des criminels d’État, contre ceux qui répudient la religion officielle.
L’autre, incarnée par Apollonius, s’appuie sur la philosophie, sur l’introduction d’une morale épurée et, sur un système de fusion d’où le christianisme lui-même n’est pas toujours exclu.
Cette dernière tendance affiche le dédain de la politique tout en ne se faisant pas scrupule d’y intervenir dans la mesure de ses intérêts. Témoin, les conspirations présumées d’Apollonius contre Néron et contre Domitien; témoin aussi, l’appui qu’il prête selon son biographe, successivement à Vespasien et à Nerva.
Quelques années après, Apollonius annonce à Éphèse la mort du tyran et Domitien périt, en effet, assassiné par un affranchi. Tous ses actes sont abolis et Nerva devient empereur.
La vie d’Apollonius prend fin à l’âge de cent ans révolus. Diverses légendes circulent sur les circonstances de sa mort et, tandis que la mémoire du prince qui avait opprimé l’empire est accablée d’outrages, on élève jusqu’aux nues la gloire de l’homme courageux dont la force d’âme l’avait fait pâlir.
C’est sous les auspices de l’Impératrice Julie, mère de Caracalla, « l’Impératrice philosophe », que Philostrate publie sa vie. Caracalla lui élève un temple à Tyane, sa patrie, comme à un héros. Alexandre Sévère place son image dans le sanctuaire de ses études, à côté et, peut-être, avant celles d’Abraham, d’Orphée et de Jésus-Christ.
La vie d’Apollonius est, certes, embellie et ornée de faits édifiants, d’actions, de prodiges qui confinent à la légende.
Pour conclure, il nous est possible d’affirmer qu’Apollonius de Tyane, en plus de sa personnalité pythagoricienne, est l’un des derniers législateurs du culte romain et l’un des précurseurs de la magnifique École d’Alexandrie.
TEXTES DES LETTRES D’APOLLONIUS
Par Philostrate, nous connaissons 95 lettres dont l’auteur serait Apollonius. Par souci d’honnêteté, il convient de mentionner que certains historiens mettent leur authenticité en doute.
Ainsi qu’il était coutume dans l’Antiquité, certains témoignages oraux caractéristiques auraient pu être recueillis, sous forme de lettres, afin d’assurer la pérennité d’une pensée.
Ces lettres sont sélectionnées ici en raison de leur rapport avec Pythagore. Elles expriment l’immense sagesse de son enseignement à travers celui qui sut l’enseigner à ses concitoyens.
Après plus de deux mille ans, nous pouvons tirer profit des textes qui suivent …
A EUPHRATE
Je suis l’ami des philosophes: Mais quant aux sophistes, aux grammairiens, et à tout le reste de cette misérable engeance, je ne me sens, et j’espère ne jamais me sentir pour eux aucune amitié. Cela ne s’adresse pas à vous, à moins que vous ne soyez de ces gens-là. Mais voici qui s’adresse à vous: modérez vos passions, efforcez-vous d’être philosophe et, de n’être pas envieux des philosophes véritables, car déjà vous approchez de la vieillesse et de la mort.
La vertu vient de ta nature, de l’éducation, de l’exercice: trois choses qui, en vue de la vertu, méritent toute espèce de considération. Il faut voir si vous possédez l’une des trois.
Ou bien, vous devez abandonner vos nobles études, ou bien, vous devez en dispenser l’enseignement gratuitement à qui voudra en profiter. Ne vous ont-elles pas déjà valu les richesses d’un Mégabyse?
Vous avez parcouru tous les pays. Depuis la Syrie jusqu’en Italie. Couvert de manteaux magnifiques et comme on dit de manteaux de roi. Autrefois. Vous aviez un manteau de philosophe, une barbe blanche et longue et, c’était tout. Comment se fait-il donc que maintenant vous nous reveniez avec un vaisseau chargé d’or, d’argent, de vases de toute espèce, de riches étoffes, de tous les attributs du luxe, du faste, de la vanité, de la folie ? Quelle est cette cargaison, quel est ce nouveau genre de marchandises? Zénon, lui, était un simple marchand de fruits.
Il faudrait peu de choses à vos enfants s’ils étaient les enfants d’un philosophe. Vous devriez, en conséquence, ne songer à acquérir que le nécessaire et surtout ne pas chercher ce que l’on n’acquiert qu’au prix de la considération. Mais puisqu’il n’est plus temps de revenir sur ce qui est fait, au moins devriez-vous être tout disposé à répandre autour de vous un peu de vos richesses: n’avez-vous pas des concitoyens, des amis ?
La doctrine du plaisir n’a plus besoin de défenseur issu des jardins d’Épicure. ni de son école: ne la voyons-nous pas tout à fait accepter par le Portique? Peut-être allez-vous me contredire et m’opposer tes discours et les sentences de Chrysippe, mais je lis sur les registres de l’empereur: Euphrate a reçu tant et, plus loin: Euphrate a reçu tant. Épicure ne recevait pas ainsi.
J’ai demandé à des riches s’ils n’avaient pas de soucis. «
Comment n’en aurions-nous point », me dirent-ils.
Et « d’où viennent donc vos soucis ? »
« De nos richesses. »
Euphrate, je vous plains, car vous venez de vous enrichir.
Quand vous vous serez hâté de venir décharger votre vaisseau à Egées, il vous faudra bien vite repartir pour l’Italie et recommencer de faire la cour aux malades, aux vieillards, aux vieilles femmes, aux orphelins. aux riches. aux voluptueux aux Midas, aux Geta. Il faut tout remuer quand on a de si bonnes marchandises à débiter. Ah ! que ne puis-je percer votre vaisseau dans la demeure de Thémis !
Peut-être allez-vous me mettre en accusation. A la bonne heure ! Enhardissez-vous donc; vous n’avez pas à être embarrassé, vous n’avez qu’à répéter ce qui se dit tous les jours: « Apollonius ne se rend jamais aux bains. »C’est qu’il ne sort jamais de sa demeure et garde les pieds purs de toute souillure. « On ne voit jamais bouger une partie de son corps. » Mais son âme est toujours en mouvement. « Il porte les cheveux longs. « Il agit en Grec, parce qu’il est Grec et non en Barbare. « Il porte une robe de lin. » Oui et c’est ce qu’il y a de plus pur parmi les substances sacrées.
« Il fait de la divination ». C’est que les choses inconnues sont plus nombreuses que les autres et, qu’il n’y a pas moyen de connaître autrement l’avenir. « Mais cela ne convient pas à un philosophe. Cela convient bien à un Dieu. « Il guérit les maladies et apaise les passions. « C’est une accusation qui lui est commune avec Esculape. « Il dit être le seul qui se nourrisse véritablement. « Oui; les autres dévorent. « Ses discours sont brefs et sont tout de suite terminés. » C’est qu’il est capable de garder le silence. « Il s’abstient de viandes. » C’est par là qu’il est homme.
Si vous dites que tels sont vos chefs d’accusation, Euphrate, peut-être, ajouterez-vous celui-ci: « Si Apollonius avait quelque mérite, il aurait reçu, comme moi, de l’argent, des biens, un rang dans la cité. « Mais, c’est précisément s’il avait du mérite qu’il ne devait pas recevoir ». « Ne devait-il pas recevoir tout cela par égard pour sa patrie? « Elle n’est pas sa patrie, la ville qui ne sait pas ce qu’elle possède.
A DION
Si vous voulez charmer les oreilles, mieux vaut jouer de la flûte ou de la lyre que de faire des discours. Voilà quels sont les instruments du plaisir et l’art de donner du plaisir s’appelle la musique. Le discours a pour but de découvrir la vérité. Voilà ce qui doit être l’objet de vos actions, de vos écrits, de vos paroles, si du moins, c’est pour cela que vous êtes philosophe.
Certaines personnes désirent savoir pour quelles raisons j’ai cessé de parler, de philosopher en public. Que ceux qui s’intéressent à cela apprennent une chose: c’est que tout discours qui ne s’adresse pas à un homme, en particulier, est sans action. Parler dans d’autres conditions, c’est parler par amour de la gloire.
A EUPHRATE
Platon a dit: La vertu ne connaît pas de maître. Quiconque n’honore pas ce précepte et, au lieu d’être heureux d’y conformer sa vie, se laisse corrompre par les richesses, se donne par cela même une foule de maîtres.
Il convient, selon vous, d’appeler mages les philosophes qui procèdent de Pythagore et, aussi ceux qui procèdent d’Orphée. Eh bien! moi, je dis qu’il convient d’appeler mages ceux qui procèdent de Jupiter, s’ils veulent être justes et divins.
Héraclite, le physicien, a dit que l’homme est naturellement déraisonnable. Si cela est vrai, selon moi, cela est vrai, tout homme qui se repaît d’une vaine gloire doit, de honte se voiler la face.
AU SOPHISTE SCOPELIANUS
Il existe en tout cinq genres littéraires en prose: le genre philosophique, le genre historique, le genre judiciaire, le genre épistolaire et le genre des mémoires. Tel est l’ordre dans lequel ils se présentent selon les caractères de chaque genre. Mais, pour chacun, le premier est celui qui est le plus conforme à ses facultés ou à sa nature; le second, pour celui qui en est dépourvu, consiste dans l’imitation des facultés supérieures que donne la nature. Mais, ces facultés sont bien difficiles à atteindre par l’imitation; de sorte que le caractère qui convient le mieux à chacun est son propre caractère, car il est le plus durable.
A LESBONAX
Il faut dans la pauvreté être un homme de cœur et dans la richesse être un homme.
A CRITON
Pythagore a dit que la médecine est le plus divin des arts. Si la médecine est l’art le plus divin, il faut que le médecin s’occupe de l’âme en même temps que du corps. Comment un être serait-il sain, si la partie de lui-même qui est la plus importante était malade ?
AUX HELLANOCIDES ET AUX ELEENS
Vous voulez que j’assiste aux jeux Olympiques et, vous m’avez dépêché à ce sujet des députés. Pour ma part, je n’assisterais pas au spectacle de luttes corporelles si, en négligeant de venir, je ne négligeais la lutte bien plus belle de la vertu.
AUX PELOPONESIENS
Avant l’installation des jeux Olympiques, vous étiez ennemis; depuis, vous n’êtes pas amis.
AUX SACRIFICATEURS D’OLYMPIE
Les Dieux n’ont pas besoin de sacrifices. Que faut-il donc faire pour leur être agréable ? Il faut, si je ne m’abuse, chercher à acquérir la sagesse divine et rendre, autant que faire se peut, des services à ceux qui le méritent. Voilà ce qu’aiment les Dieux. Les impies eux-mêmes peuvent faire des sacrifices.
AUX PRÊTRES DE DELPHES
Les prêtres souillent de sang les autels et, l’on s’étonne parfois de ce que les villes soient malheureuses, lorsqu’elles font tout pour être frappées de grandes calamités, o folie! Héraclite était un sage; mais lui-même ne conseillait pas aux Éphésiens d’effacer avec de la boue les tâches de boue.
AU ROI DES SCYTHES
Zamolxis était un homme vertueux et un philosophe; Pythagore avait été son maître. Si à son époque, les Romains avaient été aussi puissants qu’aujourd’hui, il eût recherché leur amitié. Si vous voulez combattre et lutter pour la liberté, faites-vous philosophe, ce qui signifie homme libre.
A UN LÉGISLATEUR
Les fêtes amènent les maladies. C’est un repos pour les corps fatigués, mais une occasion de se charger le ventre.
A DES PROCONSULS ROMAINS
Vous jouissiez d’un pouvoir souverain. Si vous savez commander, pourquoi, sous votre autorité, les villes déclinent-elles ? Si vous ne savez pas, il eût fallu apprendre avant de commander.
A DES PROCONSULS D’ASIE
Quand des arbres sauvages poussent pour le mal des hommes, à quoi sert de couper les branches, si on laisse subsister les racines ?
AUX SECRÉTAIRES DE LA VILLE D’ÉPHÈSE
Des statues, des peintures, des promenades, des théâtres, tout cela ne sert à rien dans une ville si l’esprit n’y domine et si la loi n’y règne. Toutes ces choses peuvent inspirer l’esprit et la loi, mais elles ne sont ni l’esprit ni la loi.
A HESTIEE
Chez nous, rien n’est plus opposé que la vertu à la richesse et, la richesse à la vertu. Chacune d’elles grandit quand l’autre diminue, et diminue quand l’autre grandit. Comment donc pourraient-elles coexister chez le même homme ? Il n’y a que les insensés pour croire cette union possible, les insensés pour qui, richesse est synonyme de vertu. Faites qu’on ne se trompe pas ainsi autour de vous sur mon compte et, ne me laissez pas donner le titre de riche plutôt que celui de philosophe. Je me sentirais déshonoré si l’on croyait que je voyage pour m’enrichir lorsque certains négligent les richesses pour laisser un nom après eux, et sans même s’attacher à la vertu.
AUX HABITANTS DE SARDES
Les noms mêmes de vos classes sont affreux: les Goddares, les Xyrisituares ! Voilà les titres que, dès leurs naissances, vous donnez à vos enfants, et vous vous estimez heureux d’en être dignes.
Ne croyez pas que vos serviteurs vous soient dévoués. Comment le seraient-ils ? D’abord ce sont des serviteurs; ensuite, la plupart d’entre eux appartiennent aux classes opposées. Car eux aussi ont leur généalogie.
AUX PLATONICIENS
Si l’on offre de l’argent à Apollonius, et qu’on lui paraisse estimable, il ne fera pas difficulté de l’accepter, pour peu qu’il en ait besoin. Mais un salaire pour ce qu’il enseigne, jamais, même dans le besoin, il ne l’acceptera.
A CEUX QUI SE CROIENT SAGES
Vous dites que vous êtes de mes disciples? Eh bien ! ajoutez que vous vous tenez chez vous, que vous n’allez jamais aux Thermes, que vous ne tuez pas d’animaux, que vous ne mangez pas de viande, que vous êtes libre de toute passion, de l’envie, de la malignité, de la haine, de la calomnie, du ressentiment, qu’enfin, vous êtes du nombre des hommes libres. N’allez pas faire comme ceux qui par des discours mensongers, font croire qu’ils vivent d’une manière, alors qu’ils vivent d’une manière opposée.
A EUPHRATE
Le savant Pythagore était de la race des Dieux, mais vous, vous me semblez bien loin de la philosophie, de la véritable science. Sans cela vous ne diriez pas de mal de Pythagore, et vous ne haïriez pas ceux qui s’efforcent de marcher sur ses traces. Croyez-moi, vous devriez faire autre chose. Car, la philosophie, vous l’avez manquée, et vous ne l’avez pas plus atteinte que Pandore n’atteignît Ménélas lors de la rupture de la trêve.
Qu’on aille trouver un pythagoricien, quels avantages et combien d’avantages en retirera-t-on ? Je vais vous les indiquer: la science du législateur, la géométrie, l’astronomie, l’arithmétique, la science de l’harmonie, la musique, la médecine et tous les divins secrets de la divination.
Ce n’est pas tout, en voici d’autres encore, plus considérables: un grand esprit, un grand cœur, de la majesté, de la constance, une bonne renommée, la connaissance des Dieux, et non des opinions sur les Dieux, la croyance raisonnée et non superstitieuse dans les démons. L’amour des uns comme des autres, le contentement de soi-même, la persévérance, la frugalité, l’art d’avoir peu de besoins, la vigueur des sens, l’agilité, la respiration facile, un bon teint, une bonne santé, un esprit tranquille, enfin l’immortalité! Veuillez maintenant me dire, que reçoivent de vous ceux qui vous ont vu. Serait-ce la vertu que vous possédez ?
Consolations à Valérius
Personne ne meurt, si ce n’est en apparence, de même que personne ne naît si ce n’est en apparence. En effet, le passage de l’essence à la substance, voilà ce que l’on a appelé naître; et ce que l’on a appelé mourir, c’est au contraire, le passage de la substance à l’essence.
Rien ne naît, rien ne meurt en réalité: mais tout paraît d’abord pour devenir ensuite invisible; ce premier effet est produit par la densité de la matière, le second par la subtilité de l’essence qui reste toujours la même, mais qui est tantôt en mouvement, tantôt au repos. Elle a cela de propre dans son changement d’état, que ce changement ne vient pas de l’extérieur: le tout se subdivise en ses parties, ou les parties se réunissent en un tout, l’ensemble est toujours un. Quelqu’un dira peut-être: Qu’est-ce qu’une chose qui est tantôt visible, tantôt invisible, qui se compose des mêmes éléments ou d’éléments différents? On peut répondre: telle est la nature des choses ici-bas que, lorsqu’elles sont massées, elles paraissent en raison de résistance de leur masse; au contraire, lorsqu’elles sont espacées, leur subtilité les rend invisibles; la matière est nécessairement renfermée ou répandue hors du vase éternel qui la contient, mais elle ne naît, ni ne meurt.
Comment donc une erreur aussi grossière que celle-ci a-t-elle subsisté si longtemps? C’est que certaines personnes s’imaginent avoir été actives alors qu’elles ont été passives: elles ne savent pas que les parents sont les moyens et non les causes de ce qu’on appelle la naissance des enfants, comme la terre fait sortir de son sein les plantes, mais ne les produit pas. Ce ne sont pas les individus visibles qui se modifient, mais la substance universelle qui se modifie en chacun d’eux.
Et cette substance, quel autre nom lui donner que celui de substance première? C’est elle seule qui est et devient, dont les modifications sont infinies, c’est le Dieu éternel dont on oublie à tort le nom et le visage pour ne voir que les noms et les visages de chaque individu. Mais ce n’est rien encore. On pleure lorsqu’un individu devient dieu, non par un changement de nature, mais par un changement d’état. Eu égard à la vérité, il ne faut pas déplorer la mort, mais au contraire, l’honorer et la vénérer. Or quelle est la marque d’honneur la plus convenable et la plus digne? C’est de laisser à Dieu ceux qui sont entrés dans son sein et, de commander aux hommes qui vous sont confiés, ainsi que vous le faisiez auparavant.
Ce serait une honte pour vous si, le temps et, non le raisonnement, vous rendait plus ferme: car le temps efface les chagrins, même ceux des moins philosophes.
Ce qu’il y a de plus illustre sur la terre, c’est un grand pouvoir; et, parmi ceux qui jouissent d’un grand pouvoir, le plus recommandable est celui qui se commande à lui-même, en premier est-il conforme au respect qu’on doit à Dieu de se plaindre de la volonté de Dieu ? S’il y a un ordre dans l’univers (or, sans conteste, il y en a un) et si, cet ordre est réglé par Dieu, le juste ne désirera pas les bonheurs qu’il n’a pas: un tel désir découle d’une préoccupation égoïste et contraire à l’ordre; mais il estimera comme un bonheur tout ce qui lui arrivera.
Avancez dans la sagesse et, songez à guérir votre âme: rendez la justice et corrigez les coupables; tout cela vous fera oublier vos larmes.
Vous ne devez pas penser à vous avant de penser au public: c’est le contraire que vous devez faire. Quels sujets de consolation n’avez-vous pas! Tout le peuple a pleuré avec vous votre fils. Ne ferez-vous pas, à votre tour, quelque chose pour le peuple? Ce que vous devez faire pour lui, c’est de ne pas aller plue loin dans votre douleur et, d’y mettre fin avant lui.
Vous dites n’avoir pas d’amis; mais. il vous reste un fils. Et, celui que vous croyez avoir perdu, ne vous reste-t-il pas? Il vous reste dira tout homme sensé.
En effet, ce qui est ne saurait périr; car ce qui est doit être toujours; ou bien il faut croire que le non-être puisse passer à l’être. Comment cela se pourrait-il, alors que l’être ne passe point au non-être.
Ce n’est pas tout. Un autre vous dira que vous manquez au respect de Dieu et, que vous êtes injuste. Oui, vous manquez au respect de Dieu et, vous êtes injuste envers votre fils ou, plutôt vous manquez de respect envers lui.
Voulez-vous savoir ce qu’est la mort? Faites-moi périr aussitôt après le dernier mot que je prononce: à t’instant même privé de mon enveloppe matérielle, je suis plus puissant que vous.
Vous avez pour vous consoler le temps, et une femme sérieuse qui vous aime, vous avez également tous les biens de la vie. C’est à vous de demander le reste à vous-même. Un ancien Romain afin de sauver la loi et le respect du commandement, mit son fils à mort. Il le fit, ayant une couronne sur la tête
Cinq cents villes sont soumises à votre empire, vous êtes le plus illustre des Romains; et pourtant, vous vous mettez dans un état à ne pouvoir bien administrer votre maison, bien loin de pouvoir gouverner des villes et des peuples. Si Apollonius était auprès de vous, il persuaderait Phabulla même de cesser de pleurer.
AUX ÉPHÉSIENS DU TEMPLE DE DIANE
Vous avez conservé tous les rites des sacrifices, tout le faste de la royauté. Comme banqueteurs et joyeux convives, vous êtes irréprochables: mais que de reproches n’a-t-on pas à formuler à votre égard, en tant que voisins de la déesse, nuit et jour ? N’est-ce pas de votre milieu que sortent tous les filous, les brigands, les marchands d’esclaves, tous les hommes injustes et impies? Le temple est un repaire de voleurs.
Le temple est ouvert à ceux qui sacrifient, qui prient, qui chantent des hymnes, aux suppliants, aux Grecs, aux Barbares, aux hommes libres, aux esclaves. Voilà une loi merveilleusement divine. J’y reconnais les attributs de Jupiter et de Latone. Plût aux Dieux qu’il n’y en eût pas d’autres !
A HESTIE
Mon père Apollonius avait trois Ménodotes parmi ses ancêtres: vous voulez d’emblée vous nommer Lucretius ou Lupercus, sans que ces noms figurent chez vos ancêtres. Si vous tenez pour honteux le nom de quelqu’un, du moins ne portez pas sur vos traits sa ressemblance.
A IARCHAS ET AUX SAGES INDIENS
J’en jure par l’eau de Tantale, à laquelle vous avez bien voulu m’initier.
A EUPHRATE
Les hommes les plus sages sont les plus brefs dans leurs discours. Si les bavards souffraient ce qu’ils font souffrir aux autres, ils ne parleraient pas tant.
A SES DISCIPLES
Simonide a dit qu’il ne s’était jamais repenti de s’être tu, mais souvent d’avoir parlé.
La loquacité fait commettre bien des imprudences, le silence ne compromet jamais.
A ARISTOCLES
La colère est une affection de l’âme qui, si elle n’est pas soignée, dégénère en une maladie du corps.
A SATYRUS
La plupart des hommes sont disposés à s’excuser de leurs fautes et, à se porter accusateurs de celles des autres.
A DENYS
Il est inappréciable, avant les épreuves de l’adversité, de connaître toutes les ressources de la tranquillité d’esprit.
A NUMENIUS
Quand nous perdons des amis, il ne faut pas les pleurer bruyamment, mais nous souvenir que nous avons passé avec eux la plus agréable partie de notre existence.
A UN INCONNU
La vie est courte pour l’homme heureux; pour celui qui vit dans le malheur, elle est bien longue.
Apollonius de Tyane un « Christ » concurrent de Jésus?
A l’époque où vécut le Christ des Évangiles, il y eut de nombreux autres « Christ » en Asie mineure et dans le Proche-Orient, c’est du moins ce que proclame un livre passionnant, publié chez Robert Laffont par l’écrivain parisien, égyptologue, JeanLouis Bernard. Ce livre, intitulé: « Apollonius de Tyane et Jésus », s’appuie sur une bibliographie très fournie se composant de thèses critiques sur Jésus, d’ouvrages modernes, de témoignages antiques, et surtout sur un ouvrage de base, sorte d’évangile à sa manière:
« Vie d’Apollonius de Tyane » par l’écrivain grec Philostrate, né à Lemnos vers l’an 175 de notre ère.
Apollonius, né à Tyane, eut lui aussi ses disciples, ses apôtres et fut lui-même disciple de Pythagore et héritier des mystères de l’Égypte. Il faut relever qu’à cette époque, le mot « Christ » était couramment usité: en grec, « Çhrestos » et « Christos » signifiaient: « le bon, l’oint ». Mais ce terme dérivait aussi phonétiquement de l’égyptien hiéroglyphique « khery-cheta ». « Celui qui domine le mystère », « l’initié »
Or, Apollonius fut l’un de ces initiés, une sorte de concurrent direct du Jésus araméen que notre civilisation chrétienne s’est « annexé ». Le Petit Larousse le cite comme « philosophe et thaumaturge pythagoricien, auquel Philostrate attribue de prétendus miracles que les païens mirent en parallèle avec ceux de Jésus-Christ ».
Une mystérieuse cabale
En fait, Apollonius devint si célèbre qu’on l’appela, à l’époque, « le thaumaturge de l’empire ». Cependant, dès la propagation des Évangiles, il fut rejeté dans l’ombre, alors que le Christ araméen fut porté au premier plan. L’Église, d’ailleurs y mit toutes ses forces en s’appuyant d’une manière irrévocable sur les quatre évangiles que nous connaissons (rédigés pourtant tardivement); ce faisant, elle oublia volontairement un grand nombre d’évangiles apocryphes (non authentifiés!), non conformes à la vie de Jésus « telle qu’on la souhaitait », idéale, homogène et convaincante.
Apollonius, au ler siècle de notre ère, est signalé dans les annales gréco-romaines. Pourquoi une mystérieuse cabale le fait glisser dans l’oubli, c’est ce qu’on se demande aujourd’hui. Le christianisme eut-il deux fondateurs? Leurs deux histoires sont-elles mêlées sous le nom d’un seul? En tout cas, le problème de la parenté entre les deux personnages prend une importance capitale.
Annonciation
Apollonius poursuivit une existence extraordinaire, traversant les métropoles de son temps, Rome, Alexandrie, Antioche, et poussant sa quête de la sagesse en Égypte et en Inde. Sa vie commence aussi par une Annonciation : l’apparition à sa mère d’un dieu égyptien qui lui prédit la naissance d’un fils d’essence divine. A sept ans, il est confié à un précepteur; à quatorze ans, il part pour Tarse (où il a pu connaître Paul), puis à Égée où il étudie au Temple d’Asclépios et où se découvre son don de guérison et de diagnostic. Philosophe, il adopte l’ascèse pythagoricienne. Il est aussi clairvoyant, mage, démonologue. Partout où il passe, il accomplit des prodiges qui relèvent de sa science secrète, et que l’on qualifie de miracles. Il vit une existence austère et il est strictement végétarien. Il va nu-pieds, vêtu de lin, et porte les cheveux longs. A la mort de son père, il partage sa fortune, renonce à la femme. Pendant cinq ans, il passe de ville en ville, voué au silence.
Puis il reprend une vie publique, raisonnant sur les dieux avec les prêtres, avec sept disciples à ses côtés. Dans ses déplacements, il prend deux serviteurs et un sténographe. A Ninive, il rencontre Damis, un Assyrien qui lui sera fidèle jusqu’à sa mort. Passant à Babylone, il dénonce le gigantisme dont cette cité s’asphyxiera (de quoi nous faire réfléchir sur nos villes géantes actuelles!). A l’entrée de ce royaume, on lui demande ce qu’il a à déclarer. « Valeur, justice, maîtrise de soi», répond-il. « Des esclaves? » lui demande-t-on. « Non, de grandes dames! ». Au Roi qui le reçoit, il déclare: « Le superflu chagrine le Sage plus que le manque ne vous étonne, vous le Souverain ».
L’empereur Domitien, qui hait Apollonius, l’emprisonne et lui intente un procès truqué. Il s’évade, on perd sa trace. On le retrouve près d’Éphèse où il meurt à un âge avancé. Comme le Christ araméen, il apparaît « post mortem » à plusieurs reprises et en plusieurs endroits, ce qui achève de le rendre fameux parmi les masses. Trop fameux, trop révéré, au point que saint Jean Chrysostome, s’acharne contre lui encore au 4e siècle, le poursuivant de ses calomnies et le traitant, entre autres, d’imposteur et de suppôt de Satan?
Il fallait, en effet, abattre ce « Christ » grec, pour les besoins de la cause, afin de fortifier et unifier par tous les moyens un christianisme aux origines plutôt complexes.
Journal « La Suisse » 1980
40e ANNIVERSAIRE DE LA LOGE APOLLONIUS DE TYANE
CONFERENCE DU 17 NOVEMBRE 2007, Guy RACHET
Apollonius de Tyane : Dieu, magicien, thaumaturge ou ?
Il me paraît utile de commencer par introduire dans l’intimité d’Apollonius ceux parmi vous qui ne le connaîtraient pas personnellement. Ainsi est-il né dans une ville relativement importante de la Cappadoce, vers la partie Est de la péninsule anatolienne, l’antique Tyane. Lorsque les Hittites dominaient cette région, il y a de cela quelques trente cinq siècles, elle s’appelait Tuwanuwa. Etablie au pied du Taurus[1], elle commandait le col appelé Portes de Cilicie, lesquelles donnaient accès à la plaine de Tarse et à la Syrie. Il est intéressant de rappeler que Strabon géographe et voyageur originaire d’Amasya, une autre cité d’Anatolie, qui rédigea sa Géographie vers l’époque de la naissance d’Apollonius, nous apprend que Tyane était bâtie sur une haute terrasse et entourée d’une belle muraille, et qu’elle s’appelait aussi Eusébia du Taurus. Il nous apprend aussi que dans la ville voisine de Castabales il y avait un temple d’Artémis Pérasia dont les prêtresses étaient réputées pour pouvoir marcher pieds nus sur des charbons ardents. Je donne ces précisions pour marquer le milieu, j’oserais dire « mysticisant », dans lequel est né notre héros, en rappelant aussi qu’en grec Eusébia signifie la piété.
Notre Apollonius – je dis notre car nombreux étaient dans l’Antiquité les Apollonius, le plus célèbre restant Apollonius de Pergé, un mathématicien qui nous a notamment laissé un important traité sur les sections coniques – donc, notre Apollonius serait né vers l’an 4 avant notre ère. Je précise que c’est aussi sans doute la date de la naissance de Jésus, ce qui n’est jamais qu’une coïncidence car nombreux doivent être les humains nés vers cette époque, parmi lesquels se trouve d’ailleurs le philosophe Sénèque. Son père portait le même nom que lui. Il appartenait à une vieille et riche famille de la ville, grâce à quoi il reçut une bonne éducation. Il nous est rapporté qu’il s’exprimait dans un grec attique très pur qui n’a pas été altéré par l’idiome de son pays. Je précise que cet idiome ne devait être autre que l’araméen. Il avait quatorze ans lorsqu’il fut emmené à Tarse par son père qui confia son éducation au rhéteur originaire de Phénicie, Euthydème. Le biographe d’Apollonius dresse un tableau qui se veut réprobateur des mœurs des Tarsiotes : ils auraient été légers, insolents, voluptueux. De sorte que, déjà choqué par de tels comportement, notre jeune dévot se serait installé dans la ville voisine d’Aegée avec son rhéteur de maître. Il y avait dans les environs un temple d’Asklépios (Esculape des latins) où le dieu se manifestait aux hommes. Il est sous-entendu qu’Apollonios s’y serait parfois retiré dans le calme.
Je fais ici une pause afin de prendre deux fois en défaut le biographe de notre héros. Tout d’abord il présente Tarse comme une ville de tous les vices, et il néglige de préciser qu’elle n’était pas qu’une cité des plaisirs. Nous savons par d’autres auteurs anciens que les habitants de la ville étaient si passionnés de philosophie et leur esprit était si vivement tourné vers toutes les formes du savoir que Tarse s’était égalée à des villes comme Athènes et Alexandrie, célèbres pour avoir donné naissance à un grand nombre de penseurs et de sectes philosophiques. Elle s’enorgueillissait alors d’avoir produit en quelques décennies une quantité d’hommes qui s’étaient surtout distingués dans la philosophie. Et tout d’abord des stoïciens : Antipater, Archédème, Nestor, Athénodore Cordylion (le bossu) compagnon de Caton d’Utique, Athénodore Conanite, qui fut précepteur d’Octave (Auguste) et qui fut par lui comblé d’honneur. Un autre Nestor, philosophe platonicien (Académicien) fur précepteur de Marcellus, fils d’Octavie et neveu d’Auguste. Diogène et Plutiade furent de ces philosophes ambulants lointains héritiers des sophistes de la Grèce classique, qui ouvraient des écoles dans chaque ville où ils séjournaient et qui dissertaient sur toutes choses. Diogène excellait même à improviser des poèmes sur quelque sujet qu’on lui proposât et plus particulièrement dans le genre tragique. A côté de ce faiseur de vers, Strabon cite un poète tragique, Dionyside, qu’il compte parmi les meilleurs de son temps et qui figura dans la Pléiade tragique. Il y eut aussi des grammairiens comme Artémidore et Diodore et enfin une multitude de lettrés et de philologues qui s’installèrent à Rome où se rencontrait autant de Tarséens que d’Alexandrins. Par ailleurs, il commet pour la première fois, déjà, mais certes pas pour la dernière fois, une confusion géographique. Il existait bien une petite ville aux confins de la Cilicie, appelée Aegée. On ne la connaît que par Strabon qui nous apprend qu’elle offrait aux navires un petit mouillage. Mais il n’est nullement question de temple d’Asklépios, surtout d’une temple aussi important qu’il nous est montré dans le texte. Quant on connaît la précision de Strabon, s’il avait existé dans cette bourgade un tel temple d’A sklépios, il paraît impossible que notre géographe l’ait ignoré. Les villes appelées Aegée sont nombreuses dans le monde grec. Visiblement il s’agirait plutôt d’une Aegée située loin de Tarse, vers les côtes anatoliennes de la mer Egée. C’était l’une des douze cités éoliennes dont les ruines, appelées par les Turcs Nemrudkalesi, sont situées au sud de la célèbre ville de Pergame. Cette dernière fut la capitale d’un royaume hellénistique, aux III° et II° s. avant notre ère. Dans la plaine qu’elle dominait se trouvait un célèbre temple d’Asklépios dont il subsiste de magnifiques ruines. Il ne peut s’agir que de ce temple. Tout ce qui est dit dans la biographie (I, 9, 10) ne peut que se référer à ce célèbre temple où le dieu se manifestait dans les rêves, et nullement à un temple d’une petite ville de Cilicie dont aucun autre auteur ancien n’a parlé.
Je reviens à Apollonios. C’est à Aegée, parmi diverses écoles philosophiques censées s’y être établies, qu’il aurait connu la doctrine de Pythagore, grâce à un certain Euxène qui professait cette doctrine quoique vivant en épicurien. A peine âgé de seize ans, il aurait décidé de mener une vie de pythagoricien. Après la mort de son père, bien qu’il ait été encore mineur, il se serait imposé cinq ans de silence total, ce qui est une prescription pythagoricienne. Et il aurait passé ces cinq années à voyager en Cilicie et en Pamphylie. La Pamphylie est une antique région de l’Anatolie qui s’étend au sud-ouest de la péninsule entre la Cilicie et la Lycie, ses rivages se déployant entre Antalya et Anamur. On imagine mal comment notre héros aurait ainsi pu voyager en ne se faisant comprendre des populations locales que par des signes. D’autant plus que cette imposition du silence n’avait de raison d’être qu’à l’époque de Pythagore lui-même, lorsque la secte était fermée et secrète. On n’y entrait qu’à la suite d’une initiation et les pythagoriciens vivaient en communauté, un peu comme dans un monastère chrétien. Les années de silence avaient un caractère initiatique et n’étaient pratiquées que dans un cadre conventuel.
Vie vagabonde d’Apollonius.
Ayant abandonné son héritage à son frère, après ces cinq années Apollonius se lança dans sa vie aventureuse de voyageur en quête de sagesse. Il se rendit à Antioche où il se serait fait des disciples. Mais lorsqu’il prit la décision de s’engager sur les chemins qui devaient le conduire jusque dans l’Inde, il ne fut accompagné que de deux serviteurs « qui venaient de la maison paternelle, et dont l’un était habile à écrire vite, l’autre à bien écrire », nous apprend son biographe. Comme si lui-même n’avait pas su écrire.
Et voici notre héros parvenu à Ninive, sans qu’il nous soit dit quel chemin il a suivi depuis Antioche. La naïveté du biographe éclate ici : il nous montre Apollonios arrêté devant une statue d’une femme « barbare » dont il déclare qu’il s’agissait d’Io, fille d’Inachus « qui avait sur le front deux petites cornes naissantes. » Et il précise que notre héros « connaissait mieux ce qui avait rapport à cette statue que les prêtres et les devins. » Or, il est évident que dans ce qui avait été l’ancienne Assyrie, on ignorait la légende grecque d’Io poursuivie par un taon. Il devait s’agir d’une statue de la déesse mésopotamienne Ishtar dans son aspect lunaire, les prétendues cornes n’étant que le croissant de la lune. Je pense que les prêtres du pays ne pouvaient que sourire de la prétention de cet étranger.
C’est devant cette statue qu’Apollonius est abordée par ce jeune « ninivite » appelé du nom typiquement grec de Damis[2]. « Pris d’enthousiasme et séduit par la perspective de grands voyages », il va désormais s’attacher à Apollonius. Et pour convaincre Apollonius de le prendre pour guide (encore qu’il dit lui-même dans le texte que le dieu – le grec o theos est simplement rendu par Dieu par le traducteur en français – sera votre guide et vous serez le mien) il lui assure qu’il connaît toutes les villes et les villages qu’ils auront à traverser pour parvenir à Babylone et qu’il connaît les langues des Barbares, Arméniens, Mèdes, Perses et Cadusiens, ce qui implique qu’il faudrait traverser les contrées dominées par ces peuples. A quoi Apollodore répond avec une admirable modestie : « Mon ami je sais toutes les langues sans en avoir appris aucune. » Et le biographe nous fais ensuite savoir que ce précieux compagnon a tenu un journal dans lequel il a noté au jour le jour ce qu’il voyait et entendait.
Voilà donc nos deux voyageurs (je signale que les deux serviteurs lettrés ont disparu de la circulation on ne sait dans quelles circonstances) parvenus à l’entrée du territoire de Babylone où Apollonius en remontre suffisamment aux gardes pour qu’ils le laissent entrer malgré les craintes que le nouveau roi Mède (il est bien écrit Mède) de la ville aurait eu des étrangers. Ils traversent ensuite la terre de Cissie pour enfin parvenir dans la cité de Babylone. Apollonius séjourne vingt mois dans cette ville où il a des entretiens avec les Mages et où le reçoit le roi Vardane dans son palais, un palais dans lequel notre ascète refuse de résider.
Nos deux voyageurs quittèrent Babylone au début de l’été pour se mettre en route vers l’Inde, montés sur des chameaux. On apprend ainsi qu’ils traversèrent des contrées prospères avant de parvenir rapidement au Caucase. Précisons qu’il ne s’agit pas du Caucase moderne au sud de la fédération de Russie, entre mer Noire et mer Caspienne, mais du Caucasus Indicus des géographes grecs et romains qui correspond à la partie orientale de l’Hindou-Kouch. De là ils descendent dans la vallée de l’Indus, ce qui est une occasion pour le biographe de nous infliger toutes les légendes grecques colportées par les historiens d’Alexandre le Gand, au sujet du dieu Dionysos et de son origine indienne.
Le « roi de l’Inde » nommé Phraote le reçoit dans sa capitale Taxila où Apollonius se renseigne sur la route conduisant chez les Brahmanes. Cette route conduit nos deux aventuriers à traverser l’Hyphase, qui n’est autre que le Satledge, un affluent de l’Indus, d’où ils pénètrent dans la vallée du Gange, en passant il est vrai, on ne sait d’ailleurs par quels détours, par la partie du Caucase « qui s’étend vers la mer Erythrée », est-il dit, par quoi il faut entendre la mer d’Oman. Enfin ils parviennent auprès de la citadelle des sages Brahmanes. « Des hommes qui possèdent réellement la science » déclare Apollonius « car ils lisent dans l’avenir. » On peut voir, sur cette constatation, que la science à notre époque n’est pas entre les mains de nos modernes scientifiques comme on pourrait le supposer, mais entre celles des astrologues et des voyantes. On a alors droit à de merveilleux entretiens entre Apollonius et le chef des Brahmanes, Iarbas. Après quatre mois passés chez les Brahmanes, nos voyageurs s’embarquent sur la mer Erythrée dans laquelle on apprend que se jette l’Hyphase, ce qui est une confusion avec l’Indus.
De retour an Asie Mineure Apollonius parcourt la péninsule où il accomplit des merveilles, se rend en Grèce et à Epidaure pour assister aux fêtes d’Asklépios, ce qui conduit curieusement notre biographe à faire une confusion avec les mystères d’Eleusis qui se déroulaient en un tout autre lieu et à une autre période de l’année. Après un séjour en Grèce et en Crète il se rend à Rome, à l’époque où Néron persécutait les philosophes, nous est-il dit. En réalité, cette persécution n’est corroborée par aucun historien ancien. C’est une généralisation faite par le biographe à partir de l’exil de Musonius parce que, nous apprend Tacite (Annales XV, 71), en enseignant la philosophie il excitait trop d’enthousiasme dans la jeunesse romaine. » En fait, c’est surtout parce qu’il avait été accusé d’avoir participé à la conspiration de Calpurnius Pison, dont le but était d’assassiner Néron. Un Musonius dont notre biographe fait d’ailleurs un disciple d’Apollonius bien qu’il ait été en réalité un stoïcien qui fut le maître de Pline le Jeune, d’Epictète et de l’orateur Dion Chrysostome.
Il quitta Rome, soi-disant parce que Néron avait interdit la ville aux philosophes. Il se rendit à Gadès, l’actuelle Cadix, au sud de l’Espagne, d’où il s’en retourna en Grèce en passant par la Sicile. Il consacra l’hiver suivant à visiter tous les temples de la Grèce, en attendant de s’embarquer pour l’Egypte avec un détour par l’île de Rhodes. Tous les Egyptiens qui n’attendaient que l’arrivée de notre philosophe le reçoivent comme un dieu. Il y rencontre Vespasien installé à Alexandrie après l’assassinat de Néron. Et naturellement le futur empereur lui demande des conseils sur toutes choses, y compris la politique. Puis il se hâte vers l’Ethiopie où il paraît qu’il était attendu avec impatience. Cette Ethiopie s’étendait de la frontière égyptienne jusqu’à l’actuelle Abyssinie. Là il rencontre les gymnosophistes, sages qui vivaient nus dans un bois et dormaient sur le gazon, ce qui montre que notre biographe n’a jamais mis les pieds dans les régions désertiques de la vallée du Nil au-delà de la première cataracte. Il a de longs entretiens avec Thespésion, le patron des gymnosophistes. Après une excursion jusqu’aux sources du Nil il rentre en Asie Mineure qu’il parcourt une nouvelle fois avant de passer en Grèce, à Argos où il rencontre Titus qui l’avait sollicité « pensant retirer un grand profit d’un entretien avec lui, » nous assure son biographe.
Lorsqu’il revient ensuite en Italie, ce n’est plus Titus qui règne, mais son frère Domitien, lequel passe pour un méchant tyran aux yeux de la plupart des historiens. Il a quelques démêlés avec l’empereur qui le convoque à son tribunal. Bien qu’acquitté, il disparaît du tribunal et se retrouve quelques heures plus tard à Dicéarchia, nom grec de la ville appelée par la suite Puteoli, la moderne Pouzzoles, sur le golfe de Naples. De là il s’embarque pour la Sicile, puis on le retrouve à Olympie où il puise largement dans le trésor de Zeus Olympien. Il était à Ephèse lorsque survint l’assassinat de Domitien, ce qui lui permit, au milieu d’une grande foule, de déclarer au même instant que le tyran avait été frappé. Enfin, Nerva étant monté sur le trône il entretint une correspondance avec notre héros. Là se serait arrêtée la relation de Damis l’Assyrien. Apollonius serait mort à Ephèse à un âge avancé, au cours de la dernière décennie du siècle.
Le roman de Philostrate.
Je pense que chacun l’a compris, le biographe en question n’est autre que Philostrate dont une partie des œuvres ont été conservées. Toute une famille a porté ce patronyme de Philostrate. Celui qui nous intéresse est dit l’Athénien, bien qu’originaire de l’île de Lemnos, comme l’était sans doute la famille. Il se fit une réputation de professeur de rhétorique à Athènes. Il est l’auteur d’un traité sur la Vie des Sophistes, un autre sur la Gymnastique, et surtout une Vie d’Apollonius de Tyane. C’est grâce à sa réputation qu’il est entré dans le cercle de l’impératrice d’origine syrienne, Julia Domna, l’épouse de l’empereur Septime Sévère (193-211) et la mère de Caracalla qui régna de 211 à 217. On la disait philosophe et c’est sur sa requête que Philostrate rédigea la Vie d’Apollonius. Il convient de préciser que Bassianus, le père de l’impératrice, était prêtre du soleil dans le temple d’Emèse consacré à ce dieu Sol Invictus, qu’un siècle et demi plus tard l’empereur Julien a tenté d’ériger en dieu unique de l’empire.
Comme tout bon historien, Philostrate ne manque pas de nous donner ses sources.
« Damis, assure-t-il (I, 3) était un des hommes les plus savants de l’ancienne Ninive : il fut disciple d’Apollonius, et il nous apprend qu’il l’accompagna dans ses voyages. Il aurait ainsi tenu un journal, où sont rapportés les pensées, les discours et les prédictions d’Apollonius. Ces mémoires, qui étaient restés inédits, furent portés par un ami de Damis à la connaissance de l’impératrice Julie. Comme je faisais partie du cercle de cette princesse, qui aimait et protégeait tout ce qui tenait aux lettres, elle m’ordonna de refaire l’ouvrage de Damis, en donnant plus de soin au style : en effet, la relation du Ninivite était intelligible, mais peu élégamment présentée. J’ai eu encore sous les yeux le livre de Maxime d’Egées, qui rapporte tout ce qui a été fait dans sa ville natale par Apollonius, et le Testament d’Apollonius, écrit par lui-même, et qui est un témoignage de l’esprit divin dont était animée toute sa philosophie. Quant aux quatre livres de Moeragène sur Apollonius, il n’y a pas à s’y arrêter : un grand nombre des actes de ce sage lui ont été inconnus. J’ai dit où j’ai puisé mes renseignements, et comment j’ai réuni ce qui était épars : puisse maintenant cet ouvrage apporter quelque honneur à l’homme dont il consacre la mémoire, et quelque utilité aux personnes qui aiment à s’instruire. On y trouvera, j’ose le dire, des choses toutes nouvelles. » Il savait visiblement de quoi il parlait !
Damis ne nous est connu que par Philostrate et, comme je vais le montrer, on peut douter de sa réalité, ou, pour le moins, de l’existence de ses mémoires. On ne peut rien assurer concernant le livre de Maxime d’Aegae, inconnu par ailleurs. Le plus intéressant des auteurs mentionnés par Philostrate est précisément celui dont il déclare qu’il ne faut pas s’y intéresser, j’ai cité Moeragène. Ce dernier est un personnage assurément historique. Dans son traité polémique Contre Celse(6, 41) écrit une dizaine d’années après le livre de Philostrate, Origène cite l’ouvrage que Moeragène a consacré à Apollonios sous le titre de Mémorables d’Apollonios de Tyane, magicien et philosophe. Les Mémorables, en grec Apomnémoneumata, latin Memorabilia, sont un genre pratiqué par les anciens Grecs, les plus célèbres étant ceux que Xénophon a consacrés à son maître Socrate. Le titre de l’ouvrage laisse supposer que Moeragène a connu Apollonius dans sa jeunesse. Il semblerait qu’il soit le personnage que Plutarque (v. 46- v. 125) met en scène dans ses Symposiaques (Moralia 671c et sq.) lors d’une discussion avec Symmaque et Lamprias à propos de l’interdiction faite aux juifs par leurs lois religieuses, de manger du porc. Dans la traduction qu’il donne de ce texte, Ricard (Œuvres de Plutarque, Tome III, p. 306) ne doute pas qu’il s’agisse de l’auteur « d’une vie d’Apollonius de Tyane », « fameux imposteur ». Pour ce qui nous concerne, l’intérêt de cette source méprisée par Philostrate, est que dès les premières décennies du II° s. un Athénien, peut-être ancien disciple d’Apollonius, a rédigé des Mémoires concernant ce dernier. La question reste de savoir pourquoi Philostrate déclare qu’il n’y a pas à retenir son témoignage. Le prétexte est qu’un grand nombre des actes de ce sage lui ont été inconnus. N’est-ce pas, justement, parce que Moeragène ne dit rien des voyages d’Apollonius, lesquels voyages seraient une pure invention de Philostrate ? C’est bien ce que je suis enclin à supposer.
Critique du voyage d’Apollonius en Inde.
La source principale concernant ce voyage serait donc ce Damis de Ninive. Or déjà, Ninive, capitale de l’Assyrie, avait été détruite de fond en comble par les Babyloniens unis aux Mèdes, en 612 avant notre ère. A l’époque d’Apollonius, la ville n’existait plus depuis quelques sept siècles. Ce que nous en dit Philostrate est entièrement repris à des textes anciens tels ceux d’Hérodote ou de Ctésias. Déjà en I, 20, Philostrate nous dit que les deux populations de la Mésopotamie sont les Arméniens et les Arabes. Or, l’Arménie qu’à cette époque se disputaient les Romains et les Parthes, est située dans les montagnes tout à fait au nord de la Mésopotamie (ce qui correspond dans la géopolitique moderne à l’est de la Turquie et le nord-ouest de l’Iran), et au sud nomadisaient quelques tribus Arabes. Mais les vrais maîtres de la Mésopotamie, les Parthes, sont totalement ignorés, tout autant qu’une villes grecque de l’importance Séleucie du Tigre, au sud de Bagdad, qui, selon Strabon, donc vers l’époque du prétendu passage d’Apollonius, aurait compté dans les 600.000 habitants. Comment une pareille cité que nos voyageurs auraient dû nécessairement traverser, et dans laquelle le grec était la langue généralement utilisée, aurait-elle pu être négligée au profit d’une Babylone devenue une simple bourgade ?
Selon le texte de Philostrate, ce n’est qu’après avoir quitté Ninive que nos voyageurs pénètrent en Mésopotamie, alors que, en réalité, le site de Ninive, auquel à succédé Mossoul, de l’autre côté (occidental) du Tigre, est bien situé dans cette région des deux fleuves. En I, 21 il est dit qu’un Mède venait de monter sur le trône et il vivait dans son palais à Babylone. Or, selon l’époque à laquelle on situe le voyage en Mésopotamie, régnait, non à Babylone mais à Ctésiphon, un roi Parthe qui était soit Vardane, cité d’ailleurs par Philostrate, soit Vologèse. Tout aussi erroné est l’itinéraire suivi par nos deux voyageurs : il est dit (I, 22), qu’ils approchaient de Babylone et passaient par la terre de Cicie : or la Cicie des géographes grecs n’était autre que l’ancienne Susiane, sur les contreforts du Zagros, à quelques trois cents kilomètres à l’est de Babylone à vol d’oiseau ! La Babylone qui nous est décrite, est celle d’Hérodote, dans laquelle sont répétées les erreurs de notre vieux voyageur, qui a cependant connu une Babylone encore magnifique, plus de cinq siècles avant Apollonius.
Le voyage de Babylone jusqu’au Caucase, c’est-à-dire l’Hindou-Kouch dans l’actuel Afghanistan est relaté en quelques lignes, et il nous est dit qu’ils traversèrent un pays prospère. Sont ainsi totalement ignorées les difficultés de la traversée de montagnes et de déserts que constitue le parcours des bords septentrionaux du plateau de l’Iran. Il nous est ensuite dit que ce Caucase, marque la frontière entre l’Inde et la Médie, une Médie qui n’existait plus depuis plusieurs siècles et qui se situait en réalité dans la partie occidentale du plateau iranien. Ce qui laisse entendre que Philostrate n’avait même pas pris connaissance des textes des géographes grecs qui parlent longuement de cette partie de l’Asie Centrale, partagée en régions appelées alors Bactriane, Sogdiane, Drangiane, Arachosie.
Mais surtout Damis censé être l’informateur de Philostrate, ignore tout des évènements politiques de cette partie de l’Asie à cette époque : il ignore aussi bien la mainmise sur ces régions par les Kouchana, venus d’Asie centrale, et pis encore, il ignore que le bouddhisme est la religion dominante de ces contrées, où est en train de naître ce qu’on a appelé l’art bouddhique du Gandhara !
En revanche, Apollonius s’étonne que le roi résidant à Taxila sut le grec, alors qu’il était connu que toutes ces régions avaient été longtemps disputées entre des princes d’origine grecque, qu’un roi grec de Bactriane, au II° s. avant notre ère, du nom de Démétrios, s’était taillé un empire qui s’étendait de l’actuel Ouzbékistan à la vallée du Gange, ce qu’ignore visiblement Philostrate, alors que ces faits historiques sont rapportés notamment par l’historien grec Polybe contemporain de ce Démétrios. Mais si cet empire éphémère pouvait avoir été oublié au 1er s., ce que nos voyageurs qui ont résidé à Taxila, (transcription grecque du sanscrit Takshaçîla), ne pouvaient pas manquer de voir, c’est que cette ville n’était nullement la capitale d’un quelconque roi de l’Inde, car elle était alors tombée dans l’empire kouchana, et surtout que s’il n’y avait certainement pas un temple du soleil (comme il est déclaré en II, 24) abritant les statues d’Alexandre le grand et de Porus en bronze doré, elle était couverte de monastères bouddhiques, qu’on y avait érigé un immense stupa qui ne pouvait passer inaperçu, même pour des voyageurs amblyopes et uniquement tournés vers eux-mêmes et leur propre culture, et qu’elle était le siège d’une célèbre université bouddhique dont le rayonnement s’exerçait de l’Asie Centrale jusqu’à la vallée du Gange.
Evidemment, les Brahmanes de Philostrate, ces sages incomparables qui ont la prétention de « connaître tout » (comme le déclare le présomptueux et ridicule Iarchas, le chef des Brahmanes, III, 18), censés vivres dans une forteresse on ne sait trop bien où, n’ont aucun rapport avec la caste sacerdotale des Brahmanes de la société indienne. Les brahmanes de Philostrate sont en même temps des fakirs qui pratiquent la lévitation, des pseudo-devins qui manifestent leur haute spiritualité en disant à Apollonius qu’ils connaissent tout ce qui concerne sa famille, des adorateurs du Soleil comme l’était Julia Domna et son fils Caracalla, suivant le culte dominant dans leur ville natale d’Emèse, et pour leurs discours, de piètres pythagoriciens qui connaissent correctement un certain nombre de mythes grecs sur lesquels on raisonne sottement, mais ignorent totalement ce qui caractérise le brahmanisme : les cultes védiques, la trinité Brahma, Vishnou et Shiva, les concepts si singuliers du Brahman et de l’Atman, aucune des grandes divinités du panthéon brahmaniste et de leurs avatara, aucune allusion aux grands textes fondamentaux qui avaient bien pris forme à cette époque, soit le Mahabharata et le Ramayana, et évidemment rien sur les Védas, les Pouranas, etc… Tous des livres qui n’ont rien à voir avec les discours des imaginaires brahmanes de Philostrate. Rien sur la société indienne, rien sur le régime des castes, rien sur les langues utilisées, sanskrit et pakrits… Rien non plus sur le Bouddhisme devenu pourtant l’une des religions officielles de l’Inde à la suite des édits d’Açoka (274-236 avant notre ère), le plus grand des souverains de l’empire Maurya dont la capitale était Patalipoutra, connue des géographes grecs sous le nom de Palibothra. Ce qui montre aussi que notre biographe n’avait même pas fait l’effort de se renseigner auprès des auteurs grecs (tels Strabon, Ptolémée, voire le Périple de la mer Erythrée) et romains (tel Pline l’Ancien).
En revanche, Iarchas raconte une histoire rocambolesque d’un roi Gange décrit comme un géant (alors que Ganga, le Gange, est une divinité féminine liée étroitement à Shiva comme en témoigne notamment son épithète Gangâdhara « porteur de Ganga ») qui régnait sur les Ethiopiens qui auraient jadis habité l’Inde avant d’émigrer vers l’Egypte. Ceci pour arriver à la conclusion que donne Iarchas lui-même, savoir qu’il est lui-même Gange : où la prétention rivalise avec le ridicule.
Et lorsque Philostrate veut nous émerveiller avec les choses de l’Inde qu’il attribue à Damis, il ressort les fantaisies et les sottises que nous connaissons par les fragments de l’Indiké de Ctésias, lequel fut médecin à la cour des rois achéménides de Perse au début du IV° s. avant notre ère. J’ai déjà noté l’erreur à propos de l’Hyphase censé se jeter dans la mer Erythrée, j’y ajouterai l’autre erreur qui place le Gange à droite et l’Hyphase à gauche lorsqu’on descend vers la mer (III, 50), alors que c’est le contraire.
Mais j’arrête là pour ce qui concerne ce voyage vers le Moyen Orient, car une analyse plus serrée pourrait multiplier les erreurs et les ignorances de notre auteur. Ce que j’en ai dit ici suffit à démontrer que ce voyage n’a pas le moindre fondement, qu’il est entièrement dû à l’imagination quelque peu bornée de notre biographe.
Je crains de manquer de temps pour procéder à une analyse du voyage en Egypte et chez les Gymnosophistes, par quoi il serait facile de démontrer qu’on a aussi là un voyage imaginaire auprès de sages tout aussi imaginaires.
Apollonius avant Philostrate.
Il est certain que Philostrate n’a pas inventé son personnage, même s’il a brossé un vaste roman à partir d’éléments qui restent évidemment difficiles à isoler.
J’ai déjà mentionné les Mémoires que lui a consacrés Moeragène. On peut m’opposer qu’ils ne sont cités que par un auteur postérieur à Philostrate. Mais on possède aussi un, voire deux témoignages certains de l’existence de notre Apollonius avant que Philostrate n’en fasse le héros exemplaire du pythagorisme.
Il s’agit d’abord de Lucien de Samosate (v. 122- v. 192). Dans son œuvre foisonnante, souvent critique et spirituelle, se trouve un traité intitulé Alexandre ou le faux prophète. On sait que ce traité a été composé pendant le règne de l’empereur Commode, le fils indigne de Marc-Aurèle, qui fut étranglé en 192 et à qui succéda précisément Septime Sévère, le mari de Julia Domna. A propos de cet Alexandre d’Abonoteichos qui avait fondé un faux oracle en Asie Mineure sous le règne de Marc-Aurèle, il nous apprend qu’il avait un maître qui était aussi son amant, originaire de Tyane. « Il se disait, précise Lucien, un familier d’Apollonius de Tyane et prétendait connaître toutes ses aventures. » Et Lucien de préciser à l’intention de la personne[3] à laquelle il a dédié cette œuvre, « tu vois ainsi qui a enseigné notre homme. » Le texte grec[4], assez elliptique, laisse entendre que l’Apollonius en question n’était pas un homme plus recommandable que le maître corrompu du jeune Alexandre : une vue qui demande a être interprétée car nous savons combien Lucien était acerbe dans ses évocations des sectes philosophiques grecques, acerbe et n’hésitant pas à se montrer de mauvaise foi. Quoi qu’il en soit, on a là la preuve que dans les dernières décennies de ce IIe s. Apollonius avait acquis une certaine notoriété.
L’autre témoignage est celui d’un contemporain de Lucien, Apulée (v. 124-v. 190), originaire de la ville de Madaure, en Afrique du Nord. Ayant à plaider dans un procès de magie, un moyen qu’il aurait utilisé pour capter l’héritage de sa femme Pudentilla, il se défendit par une longue Apologie. Et parmi son argumentation, il déclare que : « Si vous trouvez un seul motif, fût-il des plus légers, qui m’ait fait chercher pour un quelconque avantage personnel, la main de Pudentilla, si vous prouvez que j’en ai tiré le moindre profit, que je sois Carinondas, ou Damigeron, ou ce Moïse, ou Jannes, ou Apollonius, ou encore Dardanus lui-même ou quiconque a été célèbre parmi les mages après Zoroastre et Hostanès. » Tous les personnages cités étaient regardés comme des mages, ce qui impliquait qu’ils étaient aussi des hommes qui s’étaient distingués par leurs pouvoirs magiques. Ainsi ne peut-on douter que l’Apollonius ici cité soit notre Tyanéen. Et il avait alors acquis suffisamment de notoriété pour être placé aux côtés du mythique héros Dardanus, de Zoroastre et d’Hostanès. Je n’ajouterais pas de Moïse car, à l’époque qui nous occupe, il n’avait évidemment pas acquis la notoriété universelle que lui a conférée le christianisme. Et cette citation laisse aussi supposer que déjà lui étaient attribués des pouvoirs de thérapeute et de faiseur de miracles.
Ainsi, l’existence d’Apollonius ne peut être mise en doute. Il a aussi écrit quelques ouvrages perdus. Une Vie de Pythagore, qu’ont utilisés chacun de leur côté pour rédiger la biographie du philosophe qu’ils ont chacun signée, d’abord Porphyre (Pythagorou bios, 2, 5) ensuite son disciple Jamblique (Pythagorou bios, 254-264). On peut aussi mettre à son crédit un traité sur l’astrologie en quatre livres (sous le titre de Divination astrologique, en grec : péri panteias astéron), mentionné par Philostrate (III, 41) qui se réfère précisément à Moeragène, et un livre sur les sacrifices : Philostrate, III, 41, assure qu’il l’a vu dans plusieurs temples, dans plusieurs villes et même chez plusieurs savantes personnes, ce qui laisse supposer que non seulement l’auteur avait acquis une certaine notoriété, mais que son traité était considéré comme un texte classique relatif à la divination et à l’astrologie. Ce livre nous est connu par Eusèbe de Césarée (Préparation évangélique IV, 10, 7) qui nous en a conservé de maigres fragments[5]. Voilà d’ailleurs ce qu’en disent les savants auteurs de l’Histoire de la littérature grecque[6] : « Dans ce curieux morceau, animé du plus pur esprit pythagoricien, l’auteur condamne les sacrifices et recommande la prière silencieuse de la raison. Si la pensée est belle en elle-même, le tour est d’un écrivain médiocre. » Et puisque je viens de citer Maurice Croiset qui a été l’un de nos plus grands helléniste de l’entre deux guerres, voilà quelques extraits de son jugement, quelque peu sévère, il est vrai, sur notre biographe : « Philostrate l’Athénien, quelle qu’ait été sa réputation, nous apparaît aujourd’hui comme un homme singulièrement surfait. Avec des dons d’imagination et de style, qu’il gâte d’ailleurs par une insupportable prétention, il est tellement dénué de sincérité, il pense si peu lui-même, qu’il donne partout l’impression de médiocrité. Son plus grand mérite est de représenter fidèlement l’esprit et le ton qui dominaient alors dans les cercles littéraires. On en découvre en lui toute la vanité, toute la nullité morale, tout le mauvais goût et toute l’affèterie. » (p. 764) Et il conclut, à propos de la Vie d’Apollonius, qu’il « n’a su faire de son héros qu’un sophiste insupportable. » (p. 765) L’authenticité des lettres qui lui sont attribuées paraît bien trop fragile pour qu’on puisse en tenir compte.
Apollonius après Philostrate
On ne peut douter que la biographie romancée de Philostrate ait popularisé la figure d’Apollonius devenu un personnage officialisé par l’intérêt que lui portait la famille impériale. Aussi ne doit-on pas s’étonner si, comme l’assure l’historien grec Dion Cassius (v. 155-v. 235), Caracalla fit édifier à Tyane un sanctuaire consacré à Apollonius (Histoire romaine LXXVII, 18). Lampride, dans sa biographie d’Alexandre Sévère (né en 208 il a régné entre 222 et 235) qu’il nous décrit comme un empereur aussi vertueux qu’un Marc-Aurèle, nous dit qu’il avait placé dans son laraire les portraits des meilleurs empereurs et des hommes les plus vertueux « tel Apollonius et comme le dit un écrivain de son époque, le Christ, Abraham et Orphée et d’autres divinités semblables » (Histoire Auguste, Alexandre Sévère, 28). Flavius Vospicus, un autre historien du corpus de l’Histoire Auguste, dans sa vie d’Aurélien (empereur de 270 à 275) relate sa campagne contre la reine de Palmyre Zénobie, au cours de laquelle il assiégea et prit la ville de Tyane. L’empereur ayant résolu de détruire la cité, « Apollonius de Tyane, nous dit l’historien, ancien philosophe d’une haute réputation de savoir et de sagesse, véritable ami des dieux et digne d’être vénéré comme une divinité, se présenta soudain à l’empereur alors qu’il entrait dans sa tente. » Je passe sur le petit discours qu’il est censé lui avoir tenu, discours qui aurait complètement retourné l’empereur qui promit de lui consacrer un tableau, des statues et même un temple. Et Vopiscus nous fait ensuite une apologie de notre pythagoricien : « A-t-il jamais existé, poursuit-il, un mortel plus saint, plus vénérable, plus sublime, plus divin ? Il a rendu la vie aux morts, il a fait et dit une infinité de choses qui sont au-dessus des forces de l’homme. » Et il conclut en déclarant que son ambition est de « donner un abrégé de la vie de ce grand homme. » (Vie d’Aurélien, 24). Ce Flavius Vopiscus, originaire de Syracuse, a vécu dans les dernières décennie du III° s. et il est mort après 313, c’est-à-dire après le triomphe du christianisme. Il ne fait plus que confirmer cette élévation d’Apollonius au rang d’un demi-dieu.
Ammien Marcellin, le dernier des grands historiens latins qui écrivit son Histoire vers la fin du IV° s., à propos du génie (daïmon) familier qui guide la vie des hommes dont parle le poète comique Ménandre, assure que c’est à la mystérieuse intervention de ces génies qu’on attribue la prééminence de Pythagore, Socrate, Numa Pompilius, Auguste, Hermès Trismégistes, Apollonius de Tyane et Plotin (XXI, 14). Eunape, historien médiocre originaire de Sardes en Lydie, qui vécut dans la seconde moitié du IV° s. et fut donc le contemporain d’Ammien, dans un ouvrage qui nous a été conservé en entier, Vies de philosophes et de Sophistes déclare que la vie d’Apollonius a été le voyage d’un dieu parmi les mortels[7].
Apollonius et le christianisme
Une première constatation à la lecture de la Vie d’Apollonius par Philostrate s’impose : il n’y est fait aucune allusion au christianisme qui, à l’époque des Sévères, commençait à occuper une place importante parmi les religions orientales qui se développaient dans l’empire romain. Etait-ce réellement de l’ignorance, du mépris, ou, plus simplement une volonté de faire l’impasse sur ce courant religieux ? Je pense que c’était tout simplement pour Philostrate un courant religieux parmi tous ceux qui traversaient le monde gréco-romain qui, dans son projet, n’avait aucune importance, ou, en tout cas, pas plus que d’autres religions à mystères comme les cultes d’Isis, de Cybèle et de Mithra. D’autant plus qu’à son époque, le plus dangereux concurrent du culte solaire que semblent avoir désiré instaurer la dynastie des Sévère et ses successeurs jusqu’à et y compris Aurélien, ne paraissait pas être le christianisme mais bien plutôt le mithraïsme, un culte généralisé notamment parmi les légions et sur les divers limes.
Mais dans les décennies qui suivirent la diffusion du texte, le christianisme se développa d’une manière inattendue. De sorte que, sans doute un chrétien appartenant visiblement à un milieu gnostique, utilisa Apollonius pour en faire en quelque sorte un précurseur du Christ dont il prédit le triomphe. Tel est le propos du Livre de sagesse d’Apollonius de Tyane à Posthumus[8] dans lequel l’auteur anonyme fait dire à notre héros que le Christ ne détruira pas sa science astrologique car c’est par sa puissance qu’il a établi cette science et l’a solidement établie. C’est dans cet opuscule que se trouve les commentaires sur le nom mystique et son influence à chaque heure du jour et de la nuit, ce que d’aucuns ont appelé le Nycthéméron d’Apollonius.
On ne sait pas précisément quand fut écrit ce texte, quoiqu’il faille le situer à l’évidence après la publication de l’ouvrage de Philostrate. En revanche on date avec plus de précision le traité écrit par Hiéroclès, le Logos Philaléthès, ce qui peut être traduit par Discours de l’ami de la vérité. Ce texte qui s’inscrit dans la polémique anti-chrétienne, nous est connu par Lactance (v. 260-v.330) rhéteur latin africain converti au christianisme, dans son traité intitulé des Institutions divines et par la réfutation qu’en a faite Eusèbe de Césarée (265-340). Ce Sossianus Hiéroclès a été un fonctionnaire, gouverneur (praeses) de la province de Palmyre en Syrie, puis de Bithynie au nord ouest de l’Asie-Mineure et enfin de Basse Egypte où il aurait largement participé à la persécution de Dioclétien, laquelle débuta en 303. Selon Lactance, Hiéroclès voulait démontrer qu’Apollonius avait fait des miracles plus grands que ceux du Christ (Divinae Institutiones V, 2, 12). Une grande partie du texte a été conservée dans le traité Contre Hiéroclès d’Eusèbe, daté de 311-313. On voit qu’il s’est largement inspiré de Philostrate qu’il cite tout en renchérissant puisque il fait d’Apollonius, alors qu’il était adolescent, un prêtre d’Asklépios à Aegées de Cilicie.
C’est à partir de ce texte qui semble avoir été écrit vers les débuts de la persécution de 303, qu’on a voulu voir dans la biographie due à Philostrate un ouvrage anti-chrétien crypté dans lequel notre rhéteur aurait dressé un portrait d’Apollonius comme un rival du Christ, dans le but de contrer le courant chrétien et de lui opposer un autre prophète qui lui aurait été supérieur en toutes choses. B. Aubé[9] en arrive au point de trouver dans chaque page de la Vie d’Apollonius des références à l’idée chrétienne et aux récits sur le fondateur de la doctrine. Une vue qui pourrait être défendable si l’on réunissait les actes de thaumaturge et les miracles attribués à chacun des personnages en question et qu’on les mit en parallèle. C’est ce qu’a fait de son côté Pierre de Labriolle dans son livre sur la Réaction Païenne, mais sans grande conviction car il écrit d’abord : « N’oublions pas que les récits de vies héroïques, les collections de mirabilia, se ressemblent forcément par quelque côté, surtout dans l’Antiquité ou la lex operis était prépondérante ; et que, de ce chef, certains rapprochements restent douteux, et peut-être fortuits[10].
Quel fut le projet de Philostrate ?
Lorsqu’il entreprit d’écrire une vie d’Apollodore, Philostrate disposait en réalité d’une partie des œuvres d’Apollonius, à commencer par son Testament, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un texte apocryphe, et de deux documents : le livre de Maxime d’Egées et les Mémorables de Moeragène qu’il prétend dédaigner et qu’il cite pourtant (comme en III, 41, ce que j’ai mentionné plus haut). Car on ne peut tenir aucun compte du prétendu Journal (ou Mémoire) de ce Damis de Ninive chez qui Philostrate aurait puisé le récit des voyages d’Apollonius. Je m’accorde avec Edouard Meyer qui écrivit que ces Mémoires n’ont pas plus de réalité que l’œuvre de Cid Hamed Ben Egli, chez qui Cervantès aurait puisé les éléments de son Don Quichotte, ou que la fameuse inscription gravée sur une stèle d’or, en Panchaïe, où Evhémère prétendait avoir déchiffré l’histoire vraie d’Uranos, de Chronos et de Zeus[11].
C’est une idée ancrée chez les Grecs et généralement sans fondement, que leurs grands penseurs ont puisé leur savoir chez les Barbares d’Orient, ce qui les aurait conduit à voyager à travers tout le monde alors connu et à se faire initier à tous les cultes à mystères. On peut d’ailleurs puiser un exemple dans un texte presque contemporain de Philostrate. Il s’agit de la Confessio Cypriani. Ce texte sans doute apocryphe, est édité avec les œuvres latine de saint Cyprien, le célèbre évêque de Carthage qui mourut martyr en 258. Dans cette Confession, nous apprenons que dès son enfance, Cyprien fut consacré à Apollon ; à sept ans il fut initié au culte de Mithra, trois ans après aux mystères d’Eleusis, puis à quinze ans il passa quarante jours sur l’Olympe. L’auteur le fait ensuite voyager à travers la Grèce où il est encore initié à divers cultes, puis en Phrygie, au cœur de l’Asie-Mineure où il apprend la mantique. Il séjourne dix ans en Egypte d’où il se rend en Chaldée pour apprendre les secrets de l’astrologie. Enfin maître de toutes les sciences plus ou moins occulte, il s’installe à Antioche, en Syrie, où, finalement, il se convertit au christianisme.
En fait, le modèle de Philostrate n’a été autre que la légende de Pythagore. Si l’on rassemble tout ce qui nous a été conservé relativement au philosophe de Samos, notamment dans ses deux biographies signées l’une par Porphyre et l’autre par son disciple Jamblique, et dans le traité sur les Symboles pythagoriques d’Alexandre Polyhistor (1er s. av. J.- C.), le sage aurait voyage jusqu’en Inde, il aurait suivi les leçons de Zaratas l’Assyrien (il semble s’agir de Zoroastre), il aurait visité les astronomes de Babylonie, séjourné parmi les mages, connu les mystères des Egyptiens sur place, il aurait voyagé chez les Galates, c’est-à-dire en Europe centrale et en Gaule, sans compter l’Ionie et la Grèce avant d’aller fonder sa secte en Grande Grèce et mourir à Crotone à la fin du VIe s. avant notre ère après une vie d’au moins quatre-vingt ans. Et sans oublier le pseudo-Aristobule, un juif hellénisé qui déclare sans sourcilier que Pythagore, et dans la foulée Platon, auraient emprunté leurs doctrines à Moïse, ce qui permet de penser que l’auteur d’une telle sottise n’a jamais lu soit la Torah attribuée à Moïse, soit Platon et les pythagoriciens, ou peut-être bien aucun de tous ces textes.
J’oserais dire que Philostrate a voulu faire surpasser Pythagore lui-même par son lointain disciple. Car non seulement Apollonius, comme il le déclare lui-même, ou tout au moins comme le lui fait dire Philostrate, a professé le pythagorisme le plus strict, mais il l’a même vécu alors qu’à son époque ce n’était plus qu’un courant philosophique ouvert et non une secte secrète où l’on n’entrait qu’à la suite d’une longue initiation.
Il paraît assuré que, bien qu’il faille largement élaguer le texte de Philostrate, Apollonius a été un pur pythagoricien susceptible de servir de modèle à tous ceux qui auraient pu aspirer à vivre selon les principes ascétiques du pythagorisme. Apollonius se trouve à l’origine de ce courant spiritualistes qui, sous le nom de néo-pythagorisme et sous l’égide du lointain sage de Samos va traverser tous les premiers siècles de l’ère chrétienne. Il a été sûrement l’un des artisans de la renaissance du pythagorisme (ou, plus exactement, de son « regain » comme le dit Jérôme Carcopino[12]) avec le Romain Nigidius Figulus, contemporain de Cicéron et de César, et le mathématicien que fut Modératus de Gadès contemporain d’Apollonius, auteur de Leçons pythagoriques (puthagorikai skholai). Il est d’ailleurs possible que le voyage que Philostrate lui fait faire à Gadès, sans d’ailleurs donner une quelconque justification à un tel périple, ne soit jamais qu’une allusion à un rapport possible avec Modératus.
Dans cette mesure, malgré ses inventions, malgré les défauts du rhéteur que fut Philostrate, le roman qu’il a construit autour du sage de Tyane est resté un modèle pour toutes les générations qui ont recherché une forme de spiritualité et d’ascétisme en dehors du nouveau courant débordant que fut le christianisme. Par ailleurs, il s’inscrit parfaitement dans le mouvement général de ces époques qui vit la fin du rationalisme hellénique et le triomphe d’une spiritualité vague et quelque peu puritaine dont à tiré largement profit le christianisme qui s’est en grande partie fondé sur les données du néoplatonisme et du néo-pythagorisme incarné et promulgué par les Plotin, les Porphyre, les Jamblique et plus loin encore par Hypathie, martyre du paganisme, tous lointains disciples d’Apollonius de Tyane.
Si je puis encore abuser de votre patience et que vous voulez bien m’accorder quelques minutes d’attention, je voudrais défendre notre Apollonius contre une attaque non seulement injustifiée mais totalement tendancieuse due à notre moderne Tertullien j’entends René Girard. Comme vous devez le savoir, M. Girard qui vit aux Etats-Unis et professe dans une université américaine, a établi son œuvre sur trois piliers : la vérité unique et transcendante du christianisme, le mimétisme qui reste le moteur des comportements humains lorsqu’ils ne sont pas modifiés par le souffle évangélique, et le concept généralisé de bouc émissaire, selon le titre de l’un de ses ouvrages. Il a trouvé la notion de mimétisme chez Platon et Aristote[13], celle de bouc émissaire sans doute dans la Bible (précisément dans le Lévitique, 16, 10) mais largement répandu dans le monde comme l’a montré James Frazer dans le volume consacré à ce phénomène dans son Rameau d’or, sous le titre de Scapegoat. Dans un livre digne, aussi bien par son titre que par sa teneur, des plus fanatiques et des plus tendancieux des pères de l’Eglise, Je vois Satan tomber comme l’éclair, dans lequel il a notamment la prétention d’avoir résolu ce qu’il appelle l’énigme des mythes[14], il consacre un chapitre (IV, p.83 sq) à, selon son titre, « l’horrible miracle d’Apollonius de Tyane[15]. »
Je rappelle brièvement les faits rapportés par Philostrate (Livre IV, 10, p. 127 de l’édition que j’ai publiée chez Sand). Une épidémie de peste s’étant déclarée à Ephèse, les Ephésiens envoyèrent des députés auprès d’Apollonius qui se trouvait alors à Smyrne. Aussitôt il se rend dans la cité d’Artémis, où il réunit une partie des gens de la ville et les emmena jusqu’au théâtre. Là ils virent un mendiant. Sur l’ordre d’Apollonius, qui avait découvert le démon dissimulé sous cet aspect, le peuple s’arma de pierre et lapida le mendiant. Lorsqu’on dégagea le monceau de cailloux sous lequel le mendiant avait été enseveli, on découvrit le cadavre d’un énorme chien. La peste disparut aussitôt après. Girard qui prend au sérieux aussi bien cette invention de Philostrate que celles des évangélistes à propos de Jésus, déclare qu’en réalité il s’agit du meurtre d’un pauvre innocent, ce qui s’inscrit dans son obsession de voir partout des boucs émissaires et un mimétisme qui entraîne les foules à commettre les pires actions. Ce qui ressort de ce paragraphe qui résume l’interprétation de notre profond analyste : « J’ai déjà suggéré plus haut que la peste d’Ephèse ne doit pas être bactérienne. C’est une épidémie de rivalités mimétiques, un entrecroisement de scandales, une lutte de tous-contre-tous qui, grâce à la victime sélectionnée par l’astuce diabolique d’Apollonius, se transforme « miraculeusement » en un tous-contre-un réconciliateur. Devinant le mal dont souffrent les Ephésiens, le gourou suscite aux dépens d’un pauvre ère une violence dont il attend un effet cathartique supérieur à celui des sacrifices ordinaires, ou des représentations tragiques qui se déroulaient sans doute au II° siècle de notre ère dans le théâtre d’Ephèse. » (p. 89)
C’est bien par de tels procédés, la dialectique pseudo-psychanalytique en moins, que les polémistes chrétiens de l’antiquité ont cherché à dévaloriser toute la pensé antique qu’ils avaient sournoisement pillée.
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[1] Les ruines de Tyane sont situées à une vingtaine de kilomètres au sud de Nigdé, près de Kermerhissar. Cette partie du vénérable Taurus porte maintenant le nom turquisé de Bolkar Daghiari.
[2] Voir Damia, déesse de la fertilité à Egine. Et la forme dorienne de démiurgos (damiurgos) artisan
[3] Ce personnage n’ets autre que Celse, l’auteur du traité contre les chrétiens dont Origène nous a conservé de nombreux fragments dans son Contre Celse.
[4] Je me réfère au texte de l’édition de Dindorf, éditée par Firmin Didot, Paris, 1867, p. 328, (XXXII, 5)
[5] G.R.S. Mead, The Philosopher Explorer and Social Reformer of the First Century A.D., 1901, sect. 17 écrit qu’Eudocia (Ed. Villoison, 1781, p. 57) a donné le titre exact, soit: Les rites mystiques ou des Sacrifices. Par ailleurs, le « sage » (aner sophos) dont parle Porphyre dans son traité De l’abstinence (II, 34, 2) semble bien être Apollonius comme la chose paraît sûrement démontrée, de sorte que la suite du discours de Porphyre est une paraphrase du texte d’Apollonius (voir la notice introductive, T II, pp. 31 sq. du texte et traduction de Porphyre, de l’Abstinence, par J. Bouffartigue et M. Patillon, ed. Les Belles Lettres, Paris, 1979).
[6] A. et M. Croiset, Histoire de la littérature grecque, T. V, Période alexandrine par Alfred Croiset, Période romaine par Maurice Croiset, De Boccard, Paris, 1938, p. 414.
[7] P. 500 de l’édition de Boissonade, chez Didot. Eunape était un compagnon fidèle et un admirateur de l’empereur Julien, dit par les chrétiens l’Apostat.
[8] Texte grec publié dans le Catalogus Codicum Astrologorum Graecorum, Bruxelles, 1898, T. VII.
[9] B. Aubé, Histoire des persécutions de l’Eglise. La polémique païenne à la fin du II° siècle, Paris, 1878.
[10] P. de Labriolle, La Réaction païenne. Etude sur la polémique antichrétienne du Ier au VIe siècle, L’Artisan du Livre, Paris, 1942, p. 182.
[11] E. Meyer, « Apollonios von Tyana und die Biographie des Philostratos », Hermès, 1917, p. 377-424.
[12] La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, L’Artisan du Livre, Paris, 1943, p. 187 (la première édition date de 1927).
[13] La mimésis a été remarquablement étudiée, pour l’Antiquité, par H. Koller,Die Mimesis in der Antik, Berne 1954, et pour ce qui concerne la littérature occidentale à laquelle le concept colle de la manière la plus idoine, voir Erich Auerbach, Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris 1968 (trad. de l’allemand, l’édition originale ayant été publiée à Berne en 1946.
[14] Intégriste chrétien, Girard ne peut évidemment admettre que la sotériologie chrétienne, savoir le dieu sacrifié pour sauver l’humanité, puisse être regardé comme un mythe similaire aux mythes d’Adonis, Osiris, et plus encore à ceux des dieux sauveurs grecs, Héraclès, Dionysos, Zagreus. Déjà bien avant lui, un jésuite allemand Rahner avait consacré un gros livre intitulé Mythes grecs et mystère chrétien, pour chercher à persuader ses lecteurs que les premiers n’étaient jamais que de vains mythes alors que l’incarnation, la crucifixion et la résurrection de Jésus sont des réalités historiques.
[15] Il s’agit du chapitre IV, p. 83 sq. de la publication originale de Grasset, 1999. Je note en passant qu’il situe Apollonius au II° s.